Faut-il faire baisser les impôts ?
Des sous et des hommes – Une émission proposée et présentée par Pascale Fourier sur ALIGRE FM 93.1 en région parisienne
dimanche 16 novembre 2003
par Pascale Fourier
EMISSION DU 20 NOVEMBRE 2001
Michel Prat est chercheur à l’université Paris I Sorbonne, Paris XI et professeur de finance publique.
Pascale Fourier : C’est étonnant : qu’ils soient de droite ou de gauche, tout le monde veut baisser les impôts ! Certes, c’est une question qu’il faut prendre en compte en regardant également son intérêt personnel. Mais n’est-elle pas lié à l’intérêt de l’ensemble de la société ? Est-ce si bon que cela de baisser les impôts ?
Michel Prat : Il est vrai que c’est un sujet d’actualité. Mais avant de parler de baisse, il faut peut-être rappeler ce qu’est l’impôt. La définition est d’ailleurs assez simple. C’est un prélèvement pécuniaire obligatoire qui est effectué à titre définitif sans contre-partie immédiate. C’est donc un prélèvement qui est fait à chaque citoyen et dont on ne peut pas indiquer personnellement ce que l’on doit en faire. La contre-partie, à plus long terme, se retrouvera par contre à travers les charges publiques et l’intérêt général.
Pascale Fourier : Lorsque l’on parle de baisse d’impôts, s’agit-il des impôts sur le revenu, d’impôts sur les sociétés ?
Michel Prat : Parlons du budget de l’état, en donnant quelques chiffres. Il représente environ 1700 milliards. L’impôt sur le revenu rapporte 350 à 400 milliards, celui sur les sociétés environ 200 milliards. Il reste ensuite bien d’autres types d’impôts, comme les taxes parafiscales ou la TVA par exemple, qui prélève sur la consommation 19.6% supplémentaire au commerçant, que celui-ci reverse ensuite à l’état.
Pascale Fourier : Mais à quoi vont bien pouvoir servir tous ces milliards ?
Michel Prat : On peut rappeler une date importante à ce sujet : 1789. C’est la première fois que l’on confie la tâche de décider comment subvenir aux besoins collectifs du pays à un parlement, c’est-à-dire aux élus du peuple. Ce sont donc les citoyens, à travers leurs représentants, qui vont décider d’abord de l’utilité des impôts, puis de leurs fonctions.
Pascale Fourier : Avant cela, il n’existait que la cassette du roi ?
Michel Prat : Effectivement, le roi s’adressait alors à ses représentants fermiers ou aux seigneurs, il leur indiquait les sommes à prélever en fonction de ses besoins et l’argent était collecté. Mais il y avait quand même beaucoup de problèmes financiers, notamment pour les armées. Alors, n’arrivant pas à rassembler suffisamment d’argent, des assemblées de ceux qui devaient contribuer ont été constituées. C’est ainsi que le parlementarisme est né en Grande Bretagne, en France, où ces rassemblements ont montré une plus grande efficacité à collecter. Le Parlement s’est alors posé des questions sur le but des impôts et les quantités à prélever.
Pascale Fourier : Qu’a-t-il été décidé alors ?
Michel Prat : Actuellement, les impôts couvrent les charges publiques générales. C’est-à-dire l’éducation, la justice, la police, les infirmières également, dont on a parlé ces derniers temps parce qu’il en manquait. Voilà beaucoup de tâches générales qui sont payées par l’impôt, auquel chacun contribue. Et cela nous amène inévitablement à se pencher sur la question de la justice fiscale à laquelle les impôts répondent. Cette question avait déjà été évoquée un peu avant la Révolution, au siècle des Lumières. Les inégalités étaient alors très importantes. La mise en place d’une contribution de chacun en fonction de ses revenus permit alors d’assurer un minimum de services à l’ensemble de la population de façon égale pour tous.
Pascale Fourier : Les routes, l’école, l’hôpital pour tous. C’est donc cela qu’il y a derrière les impôts ?
Michel Prat : L’accès aux écoles maternelles, primaires ou autres sont normalement gratuites. Cela constitue l’une des valeurs fondamentales de notre société qui est le principe d’égalité. On comprend mieux dés lors sur quelle base se justifie l’aspect obligatoire du prélèvement des impôts. Tout le monde voit ainsi ses besoins satisfait, en particulier ceux qui ont très peu de revenus.
Pascale Fourier : Les impôts servent à des aspects essentiels de notre société comme l’école, les hôpitaux, la justice. Tout cela est extrêmement important et malgré cela, il y a de nombreux problèmes de fonctionnement dus au manque de moyens, entraînant souvent des mouvements de protestation dans ces domaines. Plus grave encore, les partis politiques, et notamment de gauche, annoncent qu’il faut baisser les impôts. Pourquoi une telle contradiction ?
Michel Prat : Il est effectivement tentant individuellement et à priori de vouloir une baisse d’impôts. Mais d’autres peuvent également faire le souhait d’en payer plus car cela serait synonyme de revenus plus importants. On remarque que ce sont surtout les hauts revenus qui demande cette baisse et c’est cela qui a été réalisé par les différents partis politiques qui se sont succédés au pouvoir. Il faut expliquer également que l’impôt sur le revenu est progressif. En effet, les tranches basses de l’impôt, c’est-à-dire les revenus de nécessités courantes, payent des taux faibles, de l’ordre de 10 à 20%, alors que seule la part la plus élevée des revenus peut être taxée jusqu’à 50%. C’est une idée qui date de l’époque des Lumières et de Rousseau. L’impôt devait être faible sur les revenus servant à satisfaire nos besoins immédiats comme se vêtir, se loger, se nourrir. Les revenus moins directement nécessaires pouvaient alors être taxés de façon plus importante.
Pascale Fourier : Cela veut dire que même les personnes riches payent un taux d’imposition aussi faible que les autres sur la première partie de leurs revenus ?
Michel Prat : Oui. Il y a donc une certaine égalité. D’ailleurs, une étude récente faisait le bilan d’un siècle ou deux de paiement d’impôts sur le revenu et donnait des chiffres ou les prélèvements étaient bien plus importants qu’aujourd’hui, notamment au début du siècle. Qui se souvient de la fiscalité des années 80, où la part supérieure était taxée à plus de 60 % et même plus de 70 % quelques temps auparavant. Il n’y a pas eu de drame pour autant de la part des personnes qui gagnent énormément.
Pascale Fourier : Des arguments récurrents sont avancés contre la hausse des impôts, assurant que cela les découragerait de travailler, que les hauts revenus partiraient vers l’étranger.
Michel Prat : C’est vrai que certains tentent de partir vers l’étranger. Mais on s’est rendu compte qu’ils étaient peu nombreux et que c’était surtout ceux qui avaient oublié de payer leurs impôts. Mais ils ne sont que quelques dizaines ou centaines de personnes sur plusieurs millions d’habitants. De plus, la France a quand même une politique de l’impôt plutôt intelligente qu’il faut préserver. Car, à force de baisser les impôts, il y aura moins de rentrées dans les caisses de l’état. Cela réduira alors les services proposés. C’est le cas des Etats-Unis qui, dans les années 60 et 70, affirmaient que les impôts étaient du vol. Il y a eu alors un fort mouvement de baisse des impôts. Le résultat de cette politique a été une baisse des services publics. Et, après quelques années de négligence sur l’entretien du réseau électrique en Californie, il y a eu des coupures électriques comme dans les pays en voix de développement quand il y a de graves difficultés. On s’aperçoit que cela n’est pas si simple et que la réflexion sur l’impôt demande un débat. On doit se demander de combien les baisser, comment les répartir et surtout comment les utiliser. Car souvent, ceux qui demandent des baisses trouvent qu’ils en payent trop mais ont-ils bien compris ce qu’ils reçoivent en échange ?
Pascale Fourier : Peut-être pensent-ils pouvoir se payer eux-mêmes des services qu’ils trouveraient à l’extérieur ?
Michel Prat : Seules les 5 à 10 % les plus riches peuvent sûrement se passer de sécurité sociale, de tarifs attractifs pour les transports en commun ou de l’école gratuite. Mais si l’on se souvient des principes de base de notre société » Liberté, Egalité, Fraternité « , l’idée était alors d’augmenter le niveau de vie général de l’ensemble de la population. De plus, la nouvelle économie pouvant permettre aujourd’hui un enrichissement très rapide, les écarts se creusent entre les différences de revenus. Ce sont alors les couches salariales les plus basses qui en pâtissent les premiers. Si les problèmes économiques touchent d’abord les ménages les plus pauvres, il est nécessaire de continuer l’éducation gratuite des enfants, des aides pour les soins médicaux. Il faut qu’il y ait une répartition des richesses pour compenser les inégalités toujours croissantes de ces dernières années.
Pascale Fourier : L’un des arguments des libéraux affirme que les personnes fortement taxées sont, à cause des impôts, découragés de travailler. Qu’en pensez-vous ?
Michel Prat : Il faut d’abord indiquer que le taux le plus élevé de l’impôt sur le revenu, actuellement de 50%, a déjà été diminué. Puis il est nécessaire de savoir si l’on travaille uniquement pour la rentabilité économique et financière. Il n’y aurait alors plus beaucoup d’activités dans le pays. Si l’on pense aux enseignants ou aux personnels hospitaliers, ils sont dévoués à leur métier malgré un salaire plutôt bas. Il n’y a pas que le gain financier qui est attractif. Que serait la société si ce n’était que cela ! On vit pour un certain nombre de valeurs autres que la valeur financière. Surtout lorsque les dépenses de premières nécessités et bien au-delà sont satisfaites. Quand on parle de taux de 50%, cela touche des revenus de 600 mille à 1 million de francs et plus. Il leur reste encore de quoi faire face.
Pascale Fourier : Un autre argument libéral dénonce les impôts trop élevés sur les sociétés, le risque étant de brider la compétitivité française. Quelles propositions alternatives répondent à cette idée souvent répandue ?
Michel Prat : Le premier point est de comparer ce taux d’imposition sur les entreprises. Nous serons bientôt à un niveau proche des 30%, ce qui nous rapprochera beaucoup des autres pays. Il n’y a donc pas de difficultés majeures en terme de compétitivité. L’autre aspect concerne les services communs dont bénéficient les entreprises qui s’implantent dans une zone industrielle. Elles trouvent à leur porte le téléphone, l’eau, l’électricité. Ce sont bien nos impôts qui ont permis cela. D’ailleurs, les entreprises ne viennent que lorsque l’ensemble de ces services est implanté. En allant encore un peu plus loin dans le raisonnement, on peut remarquer que les personnes allant travailler dans ces entreprises ont été formées, elles ont fait des études et ce ne sont pas les entreprises qui les ont formées. Qui plus est, il est reconnu que la France assure un bon niveau de formation, dont la compétitivité des entreprises a besoin. Et cela est dû, bien sûr, à l’ensemble des impôts versé par les individus et par les entreprises. Quelle serait alors la situation financière des entreprises si elles devaient subvenir elles-mêmes au besoin de formations comme auparavant ? Le problème n’est pas si simple.
Pascale Fourier : Je ne comprends toujours pas pourquoi des hommes politiques et notamment de gauche demandent sans arrêt de faire baisser les impôts ? C’est éloquent lorsque l’on entend Fabius.
Michel Prat : C’est sans doute qu’il parait plus simple, pour recueillir l’assentiment du plus grand nombre, de proposer des baisses d’impôts. Mais n’oublions pas toutes les activités d’intérêt général qu’il nous faut fournir. Les responsables politiques, en particulier de gauche, disent par ailleurs qu’il ne faut pas baisser les impôts pour tout le monde, que la répartition va (doit ?) se faire différemment. Le discours est quand même souvent compliqué dans ce domaine. C’est pour cela qu’on peut avoir du mal à s’y retrouver. Pour preuve, une réforme sur la fiscalité était prévue dans les années 70, elle a finalement été reportée aux années 90. Mais elle n’a toujours pas eût lieu. Il y a eu des baisses d’impôts, mais il y a eu des augmentations également. C’est paradoxal car cela s’est passé sous des gouvernements différents. Ils ont à tour de rôle augmenté puis baissé les impôts. On voit bien que la base de leurs discours et de leurs références ne sont pas toujours aussi solides que cela en à l’air. Il y a eu également des demandes très fortes de baisses d’impôts de la part des petits artisans et des petits commerçants, régulièrement reprises. Mais ils ont souvent oublié les mesures de facilités fiscales . Et puis, la compréhension de la répartition des impôts n’est pas facilitée par la multitude d’impôts. Ils sont nombreux et ne sont souvent appliqués qu’au bout de deux ou trois ans d’activités. Mais on rentre là dans la technique même, alors que sur le principe, il faut bien une contribution de tout un chacun. Au final, on peut se dire que si l’on paye beaucoup d’impôts, c’est que l’on a beaucoup de revenus. Il n’existe pas encore à ma connaissance d’impôt qui soit collecté sur un revenu qui n’a pas été gagné.
Pascale Fourier : Il faut alors souhaiter payer beaucoup d’impôts ?
Michel Prat : Oui. Cela sera toujours synonyme de hauts revenus. On peut à nouveau se poser la question de la justice fiscale. Le citoyen a en effet envie qu’on lui rende compte de la nécessité de payer des impôts. C’est là quelque chose de fondamental. Que l’on parle d’impôt sur le plan économique ou même sur le plan technique ou juridique, on oublie que l’impôt est un acte politique. C’est la vie de la société. Il faut donc forcément se reposer la question des grands choix du Parlement. Le citoyen aimerait être sollicité plus souvent au niveau des dépenses parce que l’on peut effectivement considérer qu’il y a des dépenses importantes et d’autres non. On disait bien, au début, dans la définition de l’impôt, qu’il était obligatoire mais que l’on ne décidait pas de son affectation. Ce sont les élus, représentants des citoyens, qui décident là où l’effort doit être porté. Dans ce cas là, la motivation pour payer les impôts serait plus grande, y compris chez ceux qui demandent de les baisser.
Pascale Fourier : Est-ce l’orientation qui est prise avec les discussions actuelles sur le budget de l’état ?
Michel Prat : Le souhait récent du ministère de l’intérieur est d’augmenter les moyens de l’état afin d’assurer la sécurité dans les quartiers et autres. C’est vrai que c’est au niveau du budget de l’état que la répartition des impôts se décide. Mais ces choix ont tendance à être noyés dans des choix difficiles. Lorsque l’on regarde le vote du parlement, on voit que 96% des choix sont identique à l’année précédente, satisfaisant ainsi les mêmes besoins. On s’aperçoit que la marge de manœuvre est faible. C’est peut être dans cette direction qu’il faudrait retravailler, se reposer un certain nombre de questions. Mais cela demande une intervention des citoyens dans la vie publique. On a pu voir, sur le plan local, des listes allant en ce sens aux dernières élections municipales.
Pascale Fourier : Existe-t-il des moyens pour les citoyens de mettre le nez dans le budget de l’état ?
Michel Prat : L’Etat parait effectivement loin. Cela est d’abord possible par le vote de nos représentants, mais également en s’y intéressant, en s’informant ou même lorsque nous sommes sollicités dans notre vie quotidienne. Ne faudrait-il pas, par exemple, mettre un peu plus d’argent au niveau des transports en commun dans les grandes agglomérations ? Et la fiscalité concernant l’environnement ? On s’aperçoit bien qu’il est très difficile de prendre des décisions. On a tendance à vivre sur ce qui existait auparavant et c’est peut être là où les citoyens doivent intervenir dans leurs collectivités et auprès de leurs représentants, en exigeant des comptes rendus. C’est intéressant de savoir les raisons qui ont poussé un député à voter un budget qui peut s’orienter vers la défense nationale, l’éducation ou l’environnement. On peut se demander, par exemple, pourquoi ils ont abandonné la taxe sur les produits polluants. On peut agir ainsi directement sur les choix politiques effectués.
Rappel : Vous pouvez imprimer ce texte. Quel que soit l’usage que vous en ferez, il vous est demandé de citer votre source : Emission Des Sous…et des Hommes du 20 Novembre 2001 sur AligreFM. Merci d’avance.