La mort de Ben Laden : questions à M. Bush…
| 05.05.11 | 13h42 • Mis à jour le 05.05.11 | 14h54
La question ne peut pas ne pas être posée. Au lendemain du raid qui a mis fin aux jours d’Oussama Ben Laden, elle affleure dans les commentaires aux Etats-Unis. On tourne autour, avec gêne. On esquisse un débat, avec précaution. Mais enfin, le sujet est sur la table, interrogation prudente et interpellation grave : à quoi ont servi les guerres d’Afghanistan et d’Irak, toutes deux menées au nom de la lutte contre le terrorisme ? Pourquoi ces dizaines de milliers de morts, ces centaines de milliards de dollars consacrés à la guerre ?
C’est l’intervention éclair d’une dizaine de commandos sur une villa d’une petite ville banlieusarde du Pakistan qui a éliminé Oussama Ben Laden. Quarante minutes d’un bref affrontement pour en finir avec l’un des plus grands terroristes de l’époque, le parrain du crime de masse perpétré le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.
Résultat ? Al-Qaida est en partie décapitée, diminuée, privée de son chef iconique ; l’Amérique est vengée et elle restaure, en partie, la puissance dissuasive de son appareil militaire.
Grâce à quoi ? Grâce au « renseignement » et à un blitz ponctuel des forces spéciales. Pas grâce à la guerre. Pas du fait d’un conflit armé du type de celui qui fut conduit en Irak et ou de celui qui se poursuit en Afghanistan.
Retour en arrière. Quelques semaines après les attentats de New York et de Washington, le président George W. Bush a rassemblé une vaste coalition de pays. Elle obtient le feu vert, unanime, de l’ONU pour renverser le régime de Kaboul, alors aux mains des talibans. Ceux-ci ont pris le pouvoir en Afghanistan en 1996.
Fondamentalistes musulmans sunnites, formés dans les écoles coraniques du Pakistan, ils appartiennent à l’ethnie majoritaire en Afghanistan, les Pachtounes. Non contents de soumettre le pays à la version la plus rétrograde de l’islam, ils accueillent Al-Qaida sur leur territoire. Ils hébergent, aident, protègent Oussama Ben Laden et son organisation. L’intervention d’octobre 2001 reçoit l’imprimatur de l’ONU, précisément parce que l’Afghanistan est devenu la base d’appui d’Al-Qaida.
Grâce aux bombardements américains, un groupe d’opposants afghans, l’Alliance du Nord, arrive à Kaboul en novembre 2001. Les chefs talibans sont chassés du pays, et avec eux les quelque milliers de combattants d’Al-Qaida. Les Etats-Unis ont l’occasion d’arrêter ou de tuer Ben Laden alors qu’il fuit au Pakistan. Ils le ratent – bourde monumentale.
Les chefs de l’Alliance du Nord ne sont pas des sociaux-démocrates scandinaves. Mais enfin, ils ont une certaine légitimité. La coalition occidentale aurait pu leur remettre le pouvoir, laisser les Afghans à leur histoire, quitter le pays mission accomplie : Al-Qaida a été chassée d’Afghanistan ; elle ne dispose plus de la logistique d’un Etat ; elle est dispersée dans des zones montagneuses d’où il lui sera plus difficile d’opérer. Cette première partie de la guerre en Afghanistan, au moins, avait un sens.
Mais les Américains, et leurs alliés, choisissent de rester en Afghanistan. Ils veulent aider Kaboul dans la transition vers la démocratie et le développement. Erreur ?
La présence continue de forces étrangères – perçues comme une armée d’occupation – facilite-t-elle le retour des talibans ? Car ils reviennent, en guérilleros, cette fois, et multiplient les offensives depuis leur base du Pakistan. La guerre se poursuit. Elle dure encore.
C’est une guerre contre les talibans, pas contre Al-Qaida, qui n’existe plus en Afghanistan ; et c’est une guerre dont les Etats-Unis disent eux-mêmes qu’elle finira par une négociation politique avec… les talibans !
Entre-temps, M. Bush s’est engagé dans un autre conflit, toujours au nom de la lutte contre Al-Qaida. Début 2003, il envahit l’Irak et fait chuter le régime de Saddam Hussein, l’un des pires autocrates de la région. Les motivations de M. Bush sont complexes – bobard des armes de destruction massive, volonté d’implanter la démocratie par la force dans le monde arabe -, mais une chose est sûre : elles n’ont pas grand-chose à voir avec Al-Qaida. Celle-ci n’a aucune relation d’aucune sorte avec la dictature laïque au pouvoir à Bagdad.
L’invasion débouche sur un chaos sanglant dans lequel des dizaines de milliers d’Irakiens vont mourir. Elle suscite un regain de terrorisme comme jamais. Elle gonfle les rangs d’Al-Qaida. Voilà l’organisation de Ben Laden présente dans le monde arabe et qui, déployant des réseaux en Europe et en Asie, grandit sous la colère que nourrit la guerre américaine en Irak.
Bush est prisonnier de la stratégie qu’il a choisie pour répondre aux attentats d’Al-Qaida. Il a voulu répliquer par la guerre à Ben Laden. Il a « déclaré la guerre à la terreur ». Ce n’est pas une figure de rhétorique, c’est la volonté de répondre à l’acte de guerre du 11-Septembre, au fracas des tours qui s’effondrent et aux milliers de morts new-yorkais, par un fracas équivalent – celui de la guerre. Il voulait des guerres, pas des actions de commandos.
Résultat ? L’image des Etats-Unis s’est dégradée. Le chaos irakien et l’enlisement afghan ont manifesté les limites de la puissance militaire américaine. Ils ont donné le sentiment d’une réponse au 11 septembre 2001 inepte et inefficace. Al-Qaida sévit toujours en Irak, elle dispose de rejetons au Pakistan, au Yémen, au Maghreb, dans le Sahel africain, en Europe.
Depuis la Maison Blanche, l’histoire se fait au jour le jour. Elle est affaire de décisions prises dans l’ambiance du moment, sous la pression de l’urgence et de l’opinion. Dans le jugement a posteriori, il y a quelque chose de facile, de léger, l’ »impavidité » tranquille de l’observateur académique, certes. Mais le raid de dimanche, cette opération réussie qui ne doit pas beaucoup aux guerres d’Afghanistan et d’Irak, appelle une conclusion a contrario : l’histoire portera un jugement terrible sur les choix de George W. Bush dans la lutte contre Al-Qaida.