Un cauchemar : l’enfant machine
Jeudi 4 février 2010 4 04 /02 /Fév /2010 10:46
Ainsi, la science a-t-elle mis au point une technique pour faire “pousser” un embryon humain dans un “ventre” machine. C‘est une boîte en plastique remplie d’un liquide et reliée a de nombreux appareils chargés de maintenir les fonctions vitales du fœtus. Nos enfants de demain pourront se développer dans des machines. Ce n’est pas une vision qu’ils nous présentent, c’est un cauchemar ! La science imagine, conçoit, projette et décide à la place de l’enfant qui est le grand oublié dans cette histoire. Se sont-ils posé la question : est-ce que j’aimerais qu’on me place dans un ventre-robot pour venir au monde comme un artefact ?
Nos éminents scientifiques, ces mages des temps modernes, tripotent et manipulent sans considération des êtres vivants comme cobayes, pour mettre au point leur procédés. L’homme désacralise et viole la VIE dans son expression la plus noble. Il ôte toute dignité à l’être humain en voulant le transformer en une “chose”. Il se gargarise de mots savamment distillés au service d’une biotechnologie de pointe où il est question de vouloir “mécaniser” la gestation à des fins d’élevage humain ou de “réification” du corps humain. La femme perdrait ainsi le dernier pouvoir qu’il lui reste : celui de donner la VIE.
En effet le biologiste et philosophe Henri Atlan nous propose sa vision de la grossesse artificielle dans son livre “U.A.,utérus artificiel » réfléchissant à la disparition de la grossesse naturelle dans le ventre de la mère pour la remplacer par une “instrumentalisation” de la procréation. L’enfant sera ainsi séparé de sa mère avant d’être conçu ! et du même coup, on séparera totalement la procréation de la sexualité. Une vraie bombe atomique dans le devenir de la formation de l’être humain !
Le contact charnel entre la mère et l’enfant disparaîtra. Il sera le résultat d’un clonage reproductif humain dans une usine à fabriquer des bébés. Quelle est cette volonté » de toute puissance chez l’homme qui défie les lois les plus sacrées de la VIE ? La conscience morale a déserté l’humain, seul reste un phénomène pensant, disloqué, égaré, qui ne sait plus quoi inventer, sous couvert d’avancée scientifique.
pour qui se prend-il ? Un démiurge ? En concevant un projet d’élevage humain, il piétine, transgresse et bafoue le Mystère de la vie. Qui est-il pour vouloir une chose aussi méprisable que celle de réduire l’être humain à une machine ?
A quelle fin, la grossesse, l’enfantement et la naissance préoccupent-ils les scientifiques au point de vouloir modifier les lois naturelles de la vie où la femme a reçu le don de donner la vie ?
Dans cet utérus artificiel, le bébé va se développer sans recevoir aucun souffle de vie naturelle ni aucun contact d’amour avec sa mère qui, attentive au moindre mouvements de sa présence dans ces entrailles, le sent vivre et veille sur lui avec toute la puissance de son instinct et la douceur de son infinie tendresse. Une mère qui enveloppe et protège ce mystère sacré qu’est la création de la vie dans son ventre.
L’embryon machine va se développer en dehors du ventre maternel sans recevoir aucun “stimuli” ni “contact” de vie réelle, tel que la myriade d’impressions sensorielles nécessaires au développement de la mémoire de l’enfant en formation. Il n’entendra pas le doux murmure de la voix intrinsèque de sa maman, il ne partagera pas les émotions maternelles qui émettent des fréquences énergétiques parcourant ses fibres les plus intimes ni le bruit sourd des échanges intra-utérins d’une vie nouvelle qui se déploie dans les entrailles d’une mère aimante.
Il est inconcevable d’imaginer la naissance d’un bébé sans passé. Quel futur aurait cet enfant s’il devait naître sans mémoire pré-humaine ? “ Sera-ce un petit soldat dépourvu de toutes émotion parce qu’il s’est formé dans la matrice d’une mécanique artificielle appelée “mère-machine” ? Un clone humain à qui la vie sera ôtée pour lui prendre ses organes à des fins expérimentales ?
C’est dans la période prénatale que l’être construit ses toutes premières bases. Il perçoit tout, il ressent tout sur le mode sensoriel et il engramme toutes ces informations dans sa mémoire subconsciente, dans sa mémoire cellulaire, car chaque cellule s’informe en même temps qu’elle se forme”, nous dit Madame Marie-Andrée Bertin, enseignante, présidente de l’O.M.A.E.P ( Organisation Mondiale des Association pour l’Education Prénatale).
Henri Atlan prétend que la procréation artificielle est inéluctable. Il est persuadé que les femmes choisiront la grossesse artificielle de leur bébé dans une machine. Il pense et parle à la place des femmes !
Si la femme laisse l’homme scientifique produire cette abomination qu’est l’utérus artificiel, elle sera complice, par sa passivité et son silence, à la naissance d’individus dépourvus d’amour, d’humanité et d’émotion. Est-ce cela le rêve de la femme pour une nouvelle humanité de demain ?
Karin Lorand
Journal Franz Weber – n° 75
Lire aussi : http://www.choisirlacausedesfemmes.org/uploads/documents/journal94_3.pdf
et http://www.choisirlacausedesfemmes.org/uploads/documents/journal95_3.pdf
et un article de blog paru en 2055 lors de la sortie du livre d’Atlan :
lundi, 25 avril 2005
HENRI ATLAN. LA GROSSESSE ARTIFICIELLE DEVIENT POSSIBLE
NEWS NEWS NEWS NEWS
PUBLICATION D’UN ESSAI DE HENRI ATLAN, BIOLOGISTE, LONGTEMPS MEMBRE DU COMITÉ D’ÉTHIQUE, TRAITANT DE LA POSSIBILITÉ DE LA GROSSESSE ARTIFICIELLE : « U A, UTÉRUS ARTIFICIEL », ( SEUIL, CLASSIQUES DU XXE SIÉCLE).
CETTE MEDITATION FUTURISTE – PROCHE – NOUS OBLIGE À REFLECHIR SUR LA DEFINITION DE L’HUMAIN, SUR SON ÉVOLUTION À VENIR, ALORS QUE LE GÉNIE GÉNÉTIQUE BOULEVERSE TOUTE LA CONCEPTION « NATURELLE » DE LA PROCRÉATION ET DE L’HUMANITÉ – UNE RÉFLEXION COMMENCÉE DEPUIS LONGTEMPS SELON HENRI ATLAN.
(Article paru dans Le Monde 2, janvier 2005)
BIBLIOGRAPHIE HENRI ATLAN
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RENCONTRE AVEC HENRI ATLAN. « LA SCIENCE EST-ELLE INHUMAINE ? »
Il est tordu comme un cep sur un petit carnet, où il achève une page noircie d’une écriture serrée. Il lève le visage vers vous, il a le regard flottant, immense. Il a été interrompu.
-Je notais quelques idées sur, comment vous dire ? sur comment un robot pourrait agir de façon libre, vraiment indépendante. J’ai une piste curieuse. Heu bonjour…
Une voix gaie, le sourire tellement juvénile, lui, Henri Atlan, 70 ans, il n’arrête donc jamais. Il nous a déjà tellement appris, secoué. Henri Atlan l’esprit fertile, le médecin qui réfléchit à la disparition de la grossesse et l’accouchement dans son dernier ouvrage au titre de S.F, « U.A, utérus artificiel », le biophysicien passionné par l’éthique et la philosophie de Spinoza, le chercheur féru de kabale, le matérialiste qui défend la dimension sacrée de l’être humain, l’esprit rationnel qui compte sur les mythes et les écrivains pour penser plus amplement. Il commande un crème, un visage de chamane, ou de sage de cinéma.
-Les mythes nous aident à prendre de la distance. Ils nous montrent que nous réfléchissons à notre procréation, depuis au moins Dédale, vous savez l’inventeur de la technique qui a permis à Pasiphaé de faire l’amour avec un taureau. En résulte un enfant monstrueux, le Minotaure. C’est déjà l’histoire de la séparation de la sexualité et de la procréation, et des risques associés aux biotechnologies.
Mythe et réalité… En 1982 naît Amandine, le premier enfant conçu par insémination in vitro. En 1983, Henri Atlan fait partie du premier Comité National d’Ethique, (avec les biologistes Axel Kahn et Jean-Pierre Changeux, l’anthropologue Françoise Héritier, le sociologue Dominique Wolton). Il devient urgent de débattre des conséquences de la maîtrise de la procréation par les techniques biologiques. Jusqu’où voulons-nous favoriser le désir d’enfant, faut-il satisfaire à « l’acharnement procréatif » de certaines mères ? Jusqu’où les biotechnologies vont-elles assouvir les désirs des humains de modifier le corps des femmes, ou celui de leurs enfants, sans risquer de les esclavagiser ? Que penser de l’insémination artificielle des mères porteuses ? Jusqu’où ira-t-on à fabriquer des couveuses ? Henri Atlan demeurera au Comité d’éthique jusqu’à l’an 2000. Il y déploiera un immense travail d’explication et de réflexion. Selon lui, il est dangereux d’attendre le bonheur de la maîtrise biotechonologique. Dangereux d’abandonner la réflexion publique, morale et politique sur les effets sociaux des découvertes. Toutes les nouvelles techniques de transformation du corps, hier la pilule, demain l’utérus artificiel -l’ectogenèse du Meilleur des Mondes- ou celles du clonage, soulèvent des problèmes moraux nouveaux. Majeurs. Ils concernent l’espèce humaine elle même. Jusqu’où voulons-nous la transformer ? Quels sont les risques ? S’opposer au clonage, n’est-ce pas comme interdire l’inceste, une loi de protection de la diversité humaine, retrouvée dans toutes les mythologies ? Quel bonheur cherchons-nous ? Irons-nous jusqu’à réaliser le mythe de Narcisse, aimant son clone à en mourir ? Toutes ces questions ne sauraient être résolues par les scientifiques, mais à travers de grands débats publics, éthiques.
Henri Atlan fut un des précurseurs de la révolution scientifique et philosophique de ce que l’histoire des sciences appelle désormais de l’expression un peu fourre-tout : les « théories de la complexité ». Difficile de résumer en quelques lignes… Disons que le temps irréversible, les effets d’engrenage, le désordre, l’aléatoire font leur entrée dans la réalité scientifique. Le monde mécaniste et horloger de la science classique se complique terriblement, en se découvrant plus instable, plus « chaotique » que prévu. Le climat, par exemple, oblige à modéliser une physique des turbulences. La biochimie découvre que le retour à l’équilibre d’une solution, passe par des moments de désordre intense de particules. L’économie se casse la tête avec les fluctuations du marché, etc.
Henri Atlan, lui, fait entrer les théories de l’information et les lois de la cybernétique dans la biologie moléculaire. Ce faisant, il contribue à rendre encore un peu plus inquiétante, ou incompréhensible pour le profane, la conception scientifique de la nature et de la « vie ». Henri Atlan le sait. Il a écrit « Entre le cristal et la fumée » pour expliquer au public quelques modèles qui régissent la matière, depuis les concrétions d’un volcan jusqu’aux volutes d’un feu. Dans « Tout, non, peut être », il combat toute réduction de l’humain, sa morale, sa liberté, au biologique, au génétique.
-Si nous arrivions un jour à expliquer l’ensemble de nos comportements, nos désirs, et même nos choix libres, ce ne sera en aucun cas la fin de la quête d’une vie heureuse, ni de la responsabilité. En le quittant, après cet entretien sur l’enfantement sans mère porteuse, sans accouchement, comment ne pas lui poser la question: doit-on transformer l’espèce humaine ? N’est-elle pas inaliénable, comme le défend aujourd’hui le philosophe allemand Habermas ? N’allons-nous pas instrumentaliser les corps des humains, à force d’en modifier la nature ?
-L’essence de l’homme, comme celle de toute créature vivante, de toute espèce évolue. Notre essence se modifie au fur et à mesure de notre histoire. C’est une idée qui est déjà chez Spinoza, pour qui Dieu est la nature, Dieu se transforme.
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ENTRETIEN AVEC HENRI ATLAN
(publié dans Le Monde 2)
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DEMAiN L’ENFANTEMENT SANS GROSSESSE, NI ACCOUCHEMENT ?
Avec l’ectogenèse, la formation de l’enfant dans une COUVEUSE servant d’utérus artificiel devient possible. C’est cette possibilité biotechnologique que Henri Atlan analyse dans son livre « U.A, utérus artificiel », posant la question d’un enfantement sans grossesse, ni accouchement- et soulevant un débat philosophique et éthique sans précédent sur la séparation de la sexualité et la procréation, l’éloignement des habitudes millénaires de l’espèce humaine, sans oublier la médicalisation complète de la naissance. La fin de l’enfant « chair de ma chair ». Entretien.
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-Vous affirmez qu’à la suite des incubateurs actuels destinés A maintenir en vie les enfants prématurés, nous allons mettre au point un utérus artificiel, et que les enfants du futur pourront se développer et naître en dehors du corps d’une femme. Un futur proche ?
Henri Atlan : Certains disent d’ici 10 à 20 ans. Je pense que cela prendra encore 50 ans, ou plus. Mais la mise au point de l’utérus artificielle semble inéluctable. Cette technique, appelée ectogenèse, développée au départ pour des raisons thérapeutiques dans le cadre des traitements de la stérilité, des avortements à répétition ou de la protection des grands prématurés, permettra de développer une nouvelle forme de procréation. Extérieure à la femme. Artificielle. Ce sera une nouvelle date historique dans l’histoire du corps humain. Un intense débat de société l’accompagnera, sans aucun doute. Nous entrerons dans une problématique qui, à mon sens, rappellera celle de la contraception, ce qui pourra sembler paradoxal, puisqu’il s’agira d’une nouvelle façon d’enfanter. Les femmes auront la liberté de faire des enfants sans grossesse, sans accouchement. Personne n’est dupe, beaucoup de femmes choisiront d’enfanter de cette manière. Il sera aussi difficile d’empêcher la popularisation de l’ectogenèse, qu’il l’a été d’interdire les méthodes de contraception et l’avortement. L’argument irréfutable sera celui de la libre disposition par chaque femme de son corps. Beaucoup d’entre elles se diront : pourquoi ne pas éviter les risques, les déformations et les désagréments associés à l’enfantement. La fonction maternelle telle que nous la connaissons depuis l’origine de l’espèce humaine, va changer de nature. C’est l’aboutissement d’une volonté à la fois médicale, thérapeutique et philosophique, de se détacher de certains impératifs biologiques, et d’en éviter les dangers. La séparation entre procréation et sexualité, déjà largement commencée au XXe siècle, ne fait que s’accentuer.
-Pour la première fois, les femmes ne supporteront plus la vieille malédiction biblique « Tu enfanteras dans la douleur ». En même temps, elles se retrouveront à égalité avec les hommes, extérieures au processus de procréation, au moins pour ce qui concerne la grossesse…
Henri Atlan : L’ectogenèse va installer une symétrie qui n’a encore jamais existé entre les hommes et les femmes. Celles-ci ne participeront à l’enfantement que par l’intermédiaire de l’ovule, comme les hommes avec leurs spermatozoïdes. La femme ne supportera plus toute la lourde charge de l’enfantement. Dans le mythe biblique de la malédiction humaine -l’homme travaillera à la sueur de son front et la femme enfantera dans la douleur-, le fait que ce destin soit présenté comme une malédiction révèle qu’il ne s’agit pas d’une réalité éternelle. Si le travail et l’enfantement sont pensés comme des malédictions, c’est qu’une autre réalité, plus heureuse, a précédé le mythe. L’interprétation traditionnelle de ce mythe implique que la malédiction soit levée. L’ectogenèse y contribuera, comme par ailleurs la diminution déjà là du temps de travail, et le caractère pénible du travail, un processus commencé avec ce siècle lui aussi. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle ne soulèvera pas, comme la plupart des innovations techniques, de nouveaux et redoutables problèmes.
-Les féministes apparaissent très partagées sur ces techniques de procréation artificielle. Certaines s’en félicitent, d’autres, très critiques, parlent de l’arrivée d’une « mère machine », et d’une industrialisation du corps féminin, qui ne serait pas sans rappeler « l’industrie de la vache ». Qu’en dites-vous ?
Henri Atlan : La lecture des écrits féministes sur ces questions révèle deux opinions tranchées, chacune défendue avec passion. Suivant un certain courant, disons moderniste, toutes ces technologies d’assistance offrent des nouveaux degrés de liberté aux femmes, les affranchissent des dangers de leur condition, leur offrent le libre usage de leur corps, achèvent de séparer le plaisir sexuel et la procréation. Pour un courant, disons plus naturaliste, ces techniques ajoutent à la dépossession du corps de la femme. À son exploitation accélérée, avec la complicité du corps médical. Elles ôteront aux femmes, disent-elles, le privilège de leurs pouvoirs naturels, les priveront de la proximité charnelle avec leur enfant, et du bonheur de la maternité et de l’enfantement. Ce serait attenter à la mythologie de la déesse Mère, la femme féconde et nourricière, plus enracinée dans la nature que les hommes, au profit d’une « mère machine » comme l’appelle la féministe Gena Corea, vouée à reproduire l’espèce d’une façon simplifiée. Je ne trancherai pas dans ce débat. Nous l’avons déjà eu plusieurs fois, à propos de l’allaitement, de la péridurale, de la fécondation in vitro, de la pilule contraceptive… Il y a aura sûrement des femmes qui décideront de porter leurs enfants, en décidant de faire cette expérience-là, qui est pour certaines inoubliable, et pour d’autres pénible. Quant à cette philosophie d’une femme naturelle, intangible, essentielle, je reste prudent, elle me semble assez proche de certains courants radicaux de « l’écologie profonde » pour qui les femmes incarnent la nature, et les hommes des espèces de parasites. Il me semble très difficile de se mettre d’accord sur une définition de ce qu’est l’Homme, la Femme, l’espèce humaine, surtout avec cette dérive qui consiste à dire qu’il y a « crime contre l’humanité », ou pire « contre l’espèce humaine », dès qu’une biotechnologie intervient. Ensuite, on condamne toute forme d’assistance médicale, d’allégement de la douleur, de liberté physiologique, et cherche à interdire la recherche dans les sciences de la vie. L’essence de l’homme, comme de toute chose, évolue. Notre essence se modifie au fur et à mesure de notre histoire .
-Les craintes du grand public face à une modification aussi radicale rejoignent celles développées face au clonage, ou certaines thérapies géniques. Pouvons-nous faire l’impasse d’un large débat public sur ces questions ? D’une réflexion éthique ?
Henri Atlan : Certainement pas. Mais le débat doit porter sur les problèmes concrets, ancrés dans la réalité biologique et médicale, au fait des développements des recherches, et pas sur des généralités et des grandes querelles courues d’avance. J’ai été membre du Comité d’éthique pendant 17 ans, depuis sa création jusqu’à l’an 2000. Je me rappelle les grands débats sur les premiers essais de thérapie génique. Bien souvent, ils ont été contre-productifs, ils ont fait peur. À l’époque, il y a eu une espèce de réaction d’horreur, des grands titres alarmistes dans les journaux. Des journalistes parlaient d’essais de « manipulation génétique » sur l’homme. Beaucoup ont agité des grands mots comme des chiffons rouges, souvent juste pour apaiser leur conscience, et le débat civil s’est arrêté là. C’est dommage. Il a fallu trois ans pour que la distinction classique entre « cellule somatique » et « cellule germinale » s’impose, et que la presse comprenne les véritables enjeux de ces recherches. Il existe une différence fondamentale entre modifier les gènes de cellules somatiques, dans le but de soigner des maladies, et de modifier des gènes de cellules germinales, celles transmises à la descendance, sans même savoir qu’elles en seraient les conséquences sur l’enfant. La plupart des critiques comme des défenseurs enthousiastes ou cyniques méconnaissaient tout simplement le sujet.
« On assiste à une même dramatisation outrancière à propos du clonage, relayée par des médias pressés, ou provoquée par des auteurs décidés à faire un peu de tapage – les pseudo « affaires » Houellebecq, ou Sloterdijk. La provocation ne marche que sur un fond de peur, d’ignorance et de confusion. Dans ces débats, il faut entrer dans le détail des techniques, s’intéresser en quoi elles nous concernent notre corps et nos souffrances, quelles retombées sociales, politiques, symboliques elles impliquent. On polémique encore sur la question du statut ontologique de l’embryon : “À partir de quand l’embryon est une personne humaine ?”. Mais, aujourd’hui, nous devons nous demander en plus, avec certains chercheurs : “À partir de quand une cellule, ou un groupe de cellules, est-elle un embryon ? ” Cela n’est pas évident du tout. Il y a la position partagée par l’Angleterre, la Corée du Sud, la Belgique, Israël, la Chine et le Japon qui consiste à faire une séparation très nette entre un clonage reproductif, qui doit être interdit, et un clonage thérapeutique, qui doit être autorisé. En France, on a choisi d’interdire les deux, bien qu’avec des pénalités très différentes. Résultat, la recherche sur différentes techniques de clonage non reproductif, aux applications thérapeutiques prometteuses, est paralysée.
-La biologie, les biotechnologies inquiètent. Ces sciences ont connu une accélération rapide et des résultats spectaculaires en quelques décennies. On a l’impression qu’une coupure s’installe entre les chercheurs et les profanes ?
Henri Atlan : La biologie, « science de la vie », est devenue au XXe siècle une science totalement matérialiste. Pour les chercheurs, la notion de « vie », le « vitalisme » avec son mystère, ont disparu au profit d’une analyse du fonctionnement des organismes comme des machines physico-chimiques. Cela paraît paradoxal de dire que les sciences de la vie ne s’occupent pas de la vie, mais c’est assez exact. La biologie s’occupe des corps, sans tenir compte de notre expérience subjective du corps et du vivant, voilà pourquoi elle inquiète. Mais ces avancées de la biologie ne suppriment en rien la beauté et la grâce des créatures vivantes, ni la richesse extraordinaire des comportements humains, ni le caractère miraculeux et sacré de l’existence humaine. Elles n’empêchent pas de concevoir ce que l’on a l’habitude d’appeler la liberté. Nous croyons que la biologie nous menace, parce qu’elle fabrique des artéfacts vivants. Quand il s’agissait des plantes, comme à l’époque de Buffon et du Jardin du Roi, ces manipulations restaient lointaines. Mais maintenant que l’on s’attaque aux animaux, et surtout aux mammifères, cela se rapproche. Les lignées d’animaux de laboratoires sont des artéfacts. Quand on modifie leurs gènes, on en crée d’autres, ou l’on fabrique des chimères. Les gens se demandent si nous n’allons pas bientôt faire des artéfacts humains. En effet, cela n’est pas impossible, mais il faudra à nouveau, le jour où la question se posera, entrer dans les détails des techniques et de leurs effets concrets. Le simple fait de modifier un gène, n’implique pas que l’on ait modifié l’espèce humaine pour autant.
-Que répondez-vous à ceux qui parlent de post-humanité ?
Henri Atlan : Je n’aime pas ce mot. Toutes ces recherches ne mènent pas à une post-humanité. L’homme fait toujours partie de la nature, comment en sortirait-il ? L’espèce humaine a toujours évolué à travers ses techniques, la médecine, son habitat, etc. La fabrication des enfants, comment la rendre moins douloureuse, comment contrôler les naissances, a toujours été la grande affaire de l’humanité, et la fabrication d’un utérus artificiel ne fait que continuer ces recherches. Nous ne transformons pas radicalement l’espèce humaine pour autant. L’évolution biologique s’effectue sur des milliers d’années, au minimum, sinon sur des centaines de milliers d’années. Imaginer que l’on puisse agir à l’échelle de l’évolution des espèces, est une vue de l’esprit. Je ne vois pas comment nous pourrions agir sur ce qui va se passer dans plusieurs milliers d’années. Quoi que nous fassions, nous serons toujours dans le cadre de l’espèce humaine, dont l’évolution biologique est très lente. Parler de post-humain, c’est encore agiter de des grands mots. C’est jouer sur la peur et l’ignorance. Cela ne signifie pas que nous devons accepter de façon béate tout ce que la technique permet de faire, ou d’accéder à tous les désirs de jouir de son corps ou à l’acharnement procréatif. Les hommes réfléchissent à ces questions et aux technologies de la procréation depuis toujours. Le grand biologiste britannique Haldane, qui a inventé le concept d’ectogenèse, rappelait que le mythe du Minotaure, l’enfant monstrueux né des amours de Pasiphaé et d’un taureau, le pressentait déjà. L’architecte Dédale, en construisant une vache d’airain pour que Pasiphaé assouvisse ses désirs, a réussi là, disait Haldane, « un succès en génétique expérimentale que la postérité n’a jamais égalé. » Haldane était l’ami d’Aldoux Huxley, et l’ectogenèse est la technique mise en œuvre dans Le Meilleur des Mondes, le roman qui réactualise le mythe, et la question des dangers de jouer avec les lois de la nature. Les innovations techniques véhiculent depuis les premiers hommes bienfaits et méfaits, et leur usage dépend largement de l’environnement politique, social et éthique. Dans le Meilleurs des Mondes, ce n’est pas tant l’ectogenèse qui est en cause, que la fabrication de clones endoctrinés dés la couveuse. Ces technologies, aujourd’hui, peuvent contribuer à exacerber un hédonisme égoïste, cherchant à manipuler son corps comme celui des autres, cela sur fond de surenchère et d’un économisme sauvage. Elles peuvent aussi donner aux femmes une existence plus agréable, débarrassée d’une forme de fétichisme de la féminité, les libérer de vieilles peurs physiques, elles peuvent renforcer nos possibilités d’amour, de bien être et de solidarité.
-Avec l’utérus artificiel, on transformera malgré tout la relation charnelle de l’enfant et de sa mère. L’enfant ne sera plus « la chair de ma chair ». Cela ne va-t-il pas se répercuter sur cet enfant externalisé ?
Henri Atlan : C’est en effet un de ces dangers. C’est l’intérêt de pousser jusqu’au bout la réflexion sur l’ambivalence de ces technologies, qui présentent des aspects à la fois positifs et négatifs. La grande question soulevée par l’utérus artificiel sera, me semble-t-il, celle de la relation des adultes aux enfants. La disparition du lien charnel entre la mère et le bébé risque de renforcer une forme d’égoïsme des adultes, et de conduire à des attitudes d’abandon des enfants, voire leur instrumentalisation. C’est à ce niveau de la relation parent-enfant, que l’on jugera le caractère maléfique ou bénéfique de cette nouvelle forme d’enfantement. Difficile de prévoir ce qui adviendra. Aujourd’hui, comme hier, malgré la grossesse, des dizaines de milliers d’enfants sont abandonnés et maltraités. Par ailleurs, le fait que l’enfant coûte tant parfois, physiquement et moralement, à la mère, n’est pas sans répercussions négatives. Certaines femmes détestent leur enfant pour cela. Vous voyez, ce n’est pas simple.
-À la fin de votre essai, vous dites que l’arrivée de ces techniques vont nous obliger à réfléchir sur le genre sexuel. Nous allons passer des « gender studies » aux « gender prospectives ». Les discours féministes aussi vont évoluer ?
Henri Atlan : La prospective s’impose, dès qu’on prend au sérieux les répercussions des biotechnologies tant au niveau social, que politique ou philosophique. La revendication féministe « un enfant si je veux, quand je veux », va certainement être complétée d’un « »comme je veux ». La notion de parenté deviendra de plus en plus sociale, rituelle, symbolique, devenant moins biologique. Les représentations des genres sexuels changeront aussi, dans la mesure où jusqu’à présent les femmes n’ont jamais pu se dégager de la nécessité de porter les enfants. Quand cette nécessité aura disparu, l’imagerie symbolique des genres se modifiera certainement, de nouvelles identités masculines et féminines apparaîtront, les relations entre les femmes et les hommes évolueront. Mais cela ne veut pas dire que les genres, et encore moins les sexes, disparaîtront, ni le désir des femmes pour les hommes et réciproquement !
Biographie HENRI ATLAN
Né en 1931 à Blida (Algérie).
Docteur en Médecine (1958, Paris).
Docteur es-Sciences d’Etat (1973, Paris-VII).
Chercheur associé au centre de recherches de la NASA, Californie (1966-1968)
Professeur invité à l’Institut Weizmann, Israel (1970-1973).
Membre du Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé de 1983 à 2000.
Professeur Emérite de Biophysique aux Universités de Paris VI et de Jérusalem.
Ancien chef de Service de Biophysique à l’Hôpital de l’Hôtel-Dieu à Paris.
Directeur du Centre de Recherche en Biologie Humaine et « scholar in residence » en Philosophie et Ethique de la Biologie, à l’Hopital Universitaire Hadassah de Jérusalem.
Directeur d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), Paris.
Chevalier de la Légion d’Honneur, Officier dans l’Ordre du Mérite, Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.
Prix de la Présidence du Sénat italien, Centre International de Recherche Piu Manzu, 1999.
Docteur Honoris Causa de l’Université de Montréal, 2000.
BIBLIOGRAPHIE
L’organisation biologique et la théorie de l’information, Hermann, Paris, 1972, 1992.
Entre le cristal et la fumée. Seuil, Paris, 1979. Point Science.
A tort et à raison, Intercritique de la science et du mythe. Seuil, Paris, 1986 (Prix Psyché,1987).
Tout, non, peut-être. Education et vérité. Seuil, Paris, 1991.
Les Théories de la Complexité. Autour de l’oeuvre de Henri Atlan, dir. F. Fogelman-Soulié, Seuil, Paris, 1991.
La fin du tout génétique ? Nouveaux paradigmes en biologie, INRA Editions, Paris, 1999.
Le clonage humain (en coll. avec M.Augé, M. Delmas-Marty, R.-P. Droit & N. Fresco), Seuil, Paris, 1999
Les Etincelles de hasard. T. I : Connaissance spermatique, Seuil, Paris, 1999.
La science est-elle inhumaine ? Essai sur la libre nécessité, Bayard, Paris, 2002.