11 septembre 2011

La stratégie selon Gus Massiah : une affaire de citoyens

Classé dans : Politique/Societe — uriniglirimirnaglu @ 16 : 34

Publié le 26 août 2011 – 15:31 par Jean-Marie Harribey
Type d’article: Analyse
Mots clefs: Gus Massiah, altermondialisme

Gustave Massiah, « Gus » pour tous ses amis, a publié cette année un livre important, Une stratégie altermondialiste (La Découverte, 2011). C’est le livre d’un acteur majeur de l’altermondialisme, des forums sociaux mondiaux, et aussi celui d’un intellectuel engagé apportant sa réflexion pour comprendre les enjeux des luttes contre le néolibéralisme et contribuer à ouvrir les voies du dépassement du capitalisme.

En effet, l’altermondialisme est né au moment où le capitalisme imposait une nouvelle phase qui allait déboucher vingt ans après sur une crise globale. « Cet ouvrage cherche à mettre en évidence la démarche stratégique qui est en cours dans le mouvement, en restituant les questions qui y sont posées et qui y circulent. Plusieurs entrées sont proposées pour ce cheminement : l’analyse de la logique dominante, l’émergence du mouvement altermondialiste, l’orientation stratégique de l’accès aux droits et de l’impératif démocratique, le débat sur pouvoir et politique, les alliances stratégiques de la période et enfin les éléments de programme reliant la stratégie et les alternatives. » (p. 6).

Ce livre est un livre d’espoir fondé sur la raison car, en fin dialecticien, Gus Massiah pense que « les contradictions à l’œuvre créent les marges de manœuvre et les espaces de liberté où peut se déployer la dialectique » (p. 6). Et les contradictions ne manquent pas à l’examen des politiques néolibérales : exploitation accrue du travail, inégalités, dégradation écologique, replis identitaires et tout sécuritaire. Les crises non plus ne manquent pas, toujours plus profondes puisqu’elles portent sur les fondements mêmes de la mondialisation capitaliste. Ainsi s’explique que le mouvement altermondialiste soit un mouvement « antisystémique » (p. 59) s’inscrivant dans « un mouvement historique d’émancipation qui met en avant la liaison entre les différentes dimensions de la libération : libération sociale, démocratique, politique et écologique » (p. 61).

L’essence de la stratégie altermondialiste réside dans l’accès aux droits et l’impératif écologique. Contrairement à ce que dit l’idéologie conservatrice, la liberté et l’égalité sont compatibles. Pour mettre en œuvre une telle stratégie, la question des alliances est primordiale, d’autant qu’il faut penser et agir sur deux temporalités à la fois : « l’urgence et le temps long » (p. 6).

Réfléchir à la stratégie suppose aussi de bien voir qu’il y a plusieurs voies de sortie de la crise globale. « Trois grandes issues ont été identifiées, correspondant à trois scénarios d’évolution future : l’évolution vers un néoconservatisme ou néolibéralisme de guerre, l’évolution vers une refondation du capitalisme, représentée aujourd’hui par le modèle du Green New Deal et l’évolution vers un dépassement du capitalisme. » (p. 165-166). La première voie est à éviter à tout prix. La deuxième qui vise à un capitalisme vert est l’objet de discussions critiques au sein de l’altermondialisme dans la mesure où il faut « aller à la racine du problème » (p. 184).

Dès lors, le mouvement altermondialiste participe à l’éclosion et à l’avancée d’alternatives véritables. Gus Massiah distingue six grandes orientations : « la régulation publique et citoyenne et les formes de propriété ; l’égalité de droits et la redistribution des richesses ; l’urgence écologique ; l’impératif démocratique ; l’équilibre géopolitique et la nouvelle phase de la décolonisation ; l’achèvement de la décolonisation et la régulation mondiale » (p. 193).

Sur chacune de ces orientations, Gus Massiah ouvre une discussion qu’il est encore trop tôt de conclure, car certains points font encore l’objet de débats ou de controverses. Ainsi, par exemple, pour Gus Massiah, « les biens communs peuvent être définis comme des rapports sociaux » (p. 200-201), alors que certains théoriciens et certains altermondialistes les considèrent comme des donnés naturels.1 Plus loin, au sujet du travail, l’auteur affirme : « La forte idée de l’abolition du salariat retrouve toute sa pertinence. Il ne s’agit pas de remettre en cause le statut social du salariat, à travers les systèmes de protection sociale et la réglementation publique sur la responsabilité des employeurs, il s’agit de remettre en cause le salariat comme rapport social, et particulièrement le rapport de subordination du salarié au propriétaire du capital. » (p. 204). Autre exemple qui tombe à pic pour nourrir les débats dans Attac sur le rapport au politique : « Une approche radicale […] permettra à la société civile, au sens défini par Gramsci, de dépasser la seule référence aux contre-pouvoirs pour élargir le contrôle citoyen et construire des espaces d’autonomie populaire. » (p. 233). Gus Massiah fait aussi une allusion à la décroissance (p. 231) tout en réclamant une fiscalité internationale pour financer le développement (p. 263), ce qui suppose de faire la différence entre croissance et développement, pomme de discorde avec certains théoriciens de la décroissance2. Peut-être aurait-il pu détailler les termes sous-jacents aux débats portant sur toutes ces questions, mais la parole revient maintenant plus aux citoyens qu’aux savants, fussent-ils du côté des premiers.

En mêlant histoire, économie et philosophie politique, Gus Massiah nous donne à voir le monde dans toute sa complexité. Dans cette complexité se nichent les contradictions qui sont autant de points d’ancrage des multiples combats libérateurs. On ne sera pas étonné de trouver dans ce livre un diagnostic sur l’entrée « dans une nouvelle phase de transition du point de vue de la transformation des sociétés » et, simultanément, « un renouvellement de la pensée de la transition » (p. 279). Ce second aspect est déterminant pour mener à bien le premier, car « il n’y a pas de surdétermination. Le changement n’est pas prédéterminé, même si des évolutions sont prévisibles. » (p. 283). Autrement dit, Gus Massiah conserve le projet révolutionnaire de l’émancipation humaine mais en rejette le mécanisme linéaire et fatal. « La construction d’un universalisme universel [partira] des approches, des propositions, des attentes et des expressions des différentes civilisations et des différentes cultures. » (p. 255).

1. 1. Voir J.M. Harribey, « Le bien commun est une construction sociale, Apports et limites d’Elinor Ostrom », L’Économie politique, n° 49, janvier 2011, http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/soutenabilite/biens-collectifs.pdf .
2. 2. Voir Attac, Le développement a-t-il un avenir ? Pour une société solidaire et économe, Paris, Mille et une nuits, 2004, en libre accès sur www.france.attac.org/sites/default/files/attac-developpement.pdf .

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