¤ PINCEAU = ARME – L’expressionnisme abstrait comme propagande de la CIA
source Le Monde.fr publié à http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2012/04/04/pinceau-arme-lexpressionnisme-abstrait-comme-propagande-de-la-cia/#xtor=RSS-3208
« One » de Jackson Pollock et « Pirate » de Willem de Kooning.
La rumeur a couru pendant plusieurs années, des accusations chuchotées et souvent balayées comme faisant partie de vastes théories de conspiration aux contours flous. The Independent met un terme aux spéculations en interrogeant un ancien CIA, qui « passe à table » : l’agence de renseignements a bien financé l’expressionnisme abstrait des peintres comme Jackson Pollock, Robert Motherwell, Willem de Kooning et Mark Rothko pour l’utiliser comme une arme de propagande pendant la guerre froide. « Comme un prince de la Renaissance, la CIA a soutenu et promu les toiles des maîtres de l’expressionnisme abstrait américain dans le monde pendant plus de vingt ans », résume le journal britannique, rappelant que jusqu’ici « il n’y a jamais eu d’éléments concrets prouvant les liens entres les renseignements des Etats-Unis et le rayonnement de sa peinture à travers le monde dans la dernière moitié du XXe siècle ».
Donald Jameson, l’ex-agent de la CIA, raconte que cette politique était connue sous le nom de « Grande Laisse ». Il fallait utiliser ce nouveau mouvement artistique dans la guerre de propagande qui opposait les Occidentaux à l’URSS, mais sans que les artistes en question ne soient au courant. « Il était hors de question d’impliquer Jackson Pollock, par exemple (…) la plupart de ces gens avaient très peu de respect pour le gouvernement, et certainement aucun pour la CIA. Et si nous devions utiliser des gens qui se considéraient plus proches de Moscou que de Washington, eh bien tant mieux. »

Selon The Independent, « la décision d’inclure la culture et l’art dans l’arsenal américain pendant la guerre froide a été prise dès la création de la CIA en 1947″. Mais en pleine hystérie maccarthyiste, avec les artistes à la pointe de l’innovation persécutés pour leurs opinions politiques, la CIA n’avait d’autres choix que d’agir dans le plus grand secret. « S’il y avait bien une institution officielle qui était à même de célébrer le travail des léninistes, des trotskistes et des gros buveurs qui formaient l’école de New York, c’est bien la CIA », rappelle le journal, ajoutant qu’à ses début l’agence était « un refuge pour les libéraux dans un monde dominé par McCarthy et le FBI de J. Edgar Hoover ».
Voici en quoi consistait la politique de « Grande Laisse » de la CIA : tout d’abord, l’agence passait par le Congrès pour la liberté culturelle, une institution créée de toutes pièces en 1950 et financée par l’argent du contribuable. Le Congrès pour la liberté culturelle finançait ensuite des expositions d’expressionnisme abstrait à travers le monde. C’était le cas en 1958 à Paris avec l’exposition « La Nouvelle Peinture américaine », où on retrouvait des toiles de Pollock ou de Willem de Kooning.

« Déplacer et exposer de telles oeuvres était cher », même pour les programmes secrets de la CIA, note le journal. Les agents ont donc fait appel « à des millionaires et des musées » pour faciliter la mise en place de ces expositions. Cela a été le cas de la Farfield Foundation, qui a notamment permis à l’expo « La Nouvelle Peinture américaine » de traverser la Manche pour rejoindre la Tate Gallery. Ou du Museum of Modern Art (MOMA) de New York, cofondé par la mère de Nelson Rockefeller, qui fut très réceptif aux demandes de la CIA. Pas étonnant lorsqu’on sait qu’après la deuxième guerre mondiale, on retrouvait dans son organigramme William Paley (un des créateurs de la CIA), John Hay Whitney (été membre de l’ancienne version de la CIA, l’OSS) ou Tom Braden (ex-patron de la division internationale de la CIA).
Ce même Braden résume ainsi le paradoxe de cette situation : « Nous devions agir en secret pour promouvoir l’ouverture. » L’article pose d’autres questions — auxquelles vous vous pouvez aussi tenter de répondre :
1- L’expressionnisme abstrait aurait-il été le mouvement artistique dominant de l’après-guerre sans l’aide de la CIA ? (Réponse : oui, probablement.)
2- Quand vous regardez une peinture de Pollock, vous êtes trompé par la CIA ? (Réponse : probablement, non.)