¤ Pourquoi le patron de Barclays a démissionné dans l’affaire du Libor qui fait scandale à la City
Publication: 03/07/2012 12:07 Mis à jour: 03/07/2012 16:42

LIBORGATE – Vu de France, le scandale qui ébranle ces derniers jours le monde de la finance à la City de Londres indiffère. Voire réjouit pour ceux qui ont toujours en travers de la gorge les propos tenus lors du G20 par David Cameron sur « le tapis rouge » déroulé aux exilés fiscaux français. Ce serait un tort: l’affaire du « Libor », déjà baptisé « LiborGate » par de nombreux médias, a des conséquences partout en Europe. Encore faut-il comprendre de quoi il s’agit, ce qui est loin d’être évident lorsque l’on parle de taux interbancaire, de « spreads », de produits dérivés, etc. Petit cours de rattrapage si vous avez manqué le début.
Le « Libor », c’est quoi ?
Le Libor (London Interbank Offered Rate) est le taux interbancaire londonien. Autrement dit, il s’agit du taux d’intérêt auquel les banques anglaises se prêtent entre elles, car les banques du monde entier se prêtent et empruntent entre elles en permanence. Ce taux n’est pas déterminé par un régulateur national, mais fixé par une quinzaine de grandes banques, comme Barclays, Royal Bank of Scotland mais aussi des banques d’autres pays telles que Bank of America, Deutsche Bank, HSBC, BNP Paribas, Société Générale, Crédit agricole etc.
Ce sont elles qui fixent toutes seules ce taux ?
Oui, chacune transmet le taux moyen auquel elle a emprunté le matin et, vers 11h du matin heure anglaise, la British Bankers Association fixe le taux moyen, en enlevant le taux le plus élevé et le plus faible. Cela donne au marché un indicateur du taux auquel les banques empruntent, un peu comme le CAC40 est un indice du niveau de la Bourse française.
Si cela ne concerne que l’Angleterre, ça ne doit pas être très important…
Au contraire! Compte-tenu de l’importance de la City dans la finance mondiale, le Libor est le taux interbancaire le plus important au monde. Il représente 350.000 milliards de dollars! Si le Libor est très élevé, c’est mauvais signe pour les marchés: cela signifie que les banques ne se font pas confiance (on prête toujours plus cher à quelqu’un dont on doute de la solidité financière). Il s’agissait pour mémoire du principal problème lors de la crise financière de 2008: les banques ne voulaient plus se prêter, ne sachant pas si elles avaient des « suprimes » dans leurs comptes. Inversement, si le taux est trop bas, c’est également mauvais signe puisque les banques ne gagnent quasiment pas d’argent lorsqu’elle accorde un prêt…
Tout ça, c’est des trucs virtuels de banquiers, sans conséquence sur les particuliers…
Faux! Les Français, qui ont l’habitude d’emprunter à taux fixe pour leur prêt immobilier ne se rendent pas compte mais dans de nombreux pays, les propriétaires empruntent à taux variable. C’est d’ailleurs de là qu’est née la crise des subprimes, qui a engendré la crise financière, puis la crise de la dette actuelle. Chaque mois, trimestre ou année, le montant que le particulier doit rembourser est ajusté en fonction d’un certain taux: l’Euribor ou l’Eonia en France, le Libor en Angleterre. Le Libor « conditionne le niveau des taux d’intérêt payés par des centaines de millions de personnes pour leur prêt immobilier, les prêts des petits commerces, les prêts étudiants, les produits d’assurance. Il conditionne un énorme spectre de transactions financières dans le monde, pas seulement au Royaume Uni” résume sur EuronewsTony Greenham, responsable financier de New Economics Foundation.
D’accord, d’accord. Alors, c’est quoi ce scandale?
Le 29 juin, on a appris que la banque Barclays avait déboursé près de 300 millions de livres sterling, soit plus de 320 millions d’euros pour stopper les poursuites sur une manipulation du cours du Libor. Barclays a volontairement sous-estimé le chiffre envoyé à la British Bankers Association pour donner l’impression, au plus fort de la crise financière, qu’elle était en bonne santé financière. En réalité, elle payait beaucoup plus cher ses emprunts. D’après l’enquête, les traders de la banque, qui pouvaient gagner ou perdre des millions de livres sterling selon le taux annoncé, faisaient pression sur leurs collègues qui envoyaient leur estimation du taux à l’association.
La presse britannique a obtenu des e-mails prouvant cette petite magouille entre amis: « Je t’en dois une. La prochaine fois que l’on se voit, j’apporte une bouteille de Bollinger », écrivait ainsi un trader au collègue qui fixe le taux. Devant le scandale, le président du conseil d’administration de la Barclays, Marc Agius, a démissionné le lundi 2 juillet et Bob Diamond, le directeur américain de la banque, ainsi que Jerry del Missier, directeur des opérations, ont démissionné ce mardi 3 juillet.
Mais comment la Barclays a-t-elle pu manipuler tout seul le taux fixé par 16 banques?
C’est bien là tout le problème: elle n’aurait pas agi seule. La Royal Bank of Scotland (RBS) est également impliquée dans ce scandale et pourrait devoir s’acquitter d’une amende de presque 190 millions d’euros pour les mêmes raisons, selon The Times. Sachant que RBS avait été sauvé par le gouvernement et en partie nationalisé au plus fort de la crise financière, cela fait désordre… Et ce n’est pas tout. D’autres banques seraient mouillées dans l’affaire, selon Reuters: Citigroup, UBS et HSBC sont également dans le collimateur. Selon le Financial Times, une vingtaine de banques dans le monde sont concernées par ce « LiborGate ». Aucune banque française n’a pour l’instant été citée.
La France est donc à l’abri de ce scandale…
Rien n’est moins sûr. Il faut d’abord attendre que les enquêtes soient terminées pour voir si une banque française est mouillée dans le scandale. Ensuite, tout ce qui touche la plus grande place financière du monde a forcément un impact sur les autres places. Enfin, et surtout, Barclays aurait également manipulé l’Euribor, le taux interbancaire qui est le pendant du Libor pour… la zone euro! « Cette histoire va clairement avoir d’autres répercussions à travers l’ensemble du secteur », a commenté à l’AFP Mike McCudden, responsable des produits dérivés chez Interactive Investor.
Mais comment ce genre de manipulation peut-elle arriver? Que fait le gouvernement?
Culturellement, l’Angleterre place l’économie de marché et la finance au-dessus de tout. Le gouvernement s’implique le moins possible dans les affaires de la City et croit dans l’auto-régulation des acteurs financiers. Ensuite, le Libor est seulement un indice. Le CAC40, le Dow Jones, l’Eurostoxx, etc. sont également des indices créés par des entreprises privées. Sur le fond, le gouvernement n’a pas forcément à se mêler d’un indice que décident de créer un ensemble d’acteurs privés d’un même secteur… Sauf, sans doute, lorsqu’il influence autant les marchés financiers.
Les autorités ont, semble-t-il, enfin pris le problème à bras-le-corps. Ken Clarke, secrétaire d’Etat à la justice, a évoqué le fait de saisir la justice et le gouverneur de la banque d’Angleterre préconise une réforme en profondeur du secteur bancaire. George Osborne, le Chancelier de l’Echiquier, a de son côté déclaré que « c’est absolument inacceptable et cela révèle un système financier qui met au-dessus de tout l’appât du gain ». Quant au Premier ministre David Cameron, il a annoncé lundi le lancement d’une commission d’enquête parlementaire, chargée de faire la lumière sur cette affaire.
Affaire à suivre…