27 août 2012

¤ Lutte contre la corruption: Etats-Unis 1 – Europe 0 (match en cours)

Classé dans : Politique/Societe — uriniglirimirnaglu @ 12 : 38
Friederike Röder    Responsable du plaidoyer de l’ONG ONE en France Publication: 27/08/2012 06:00
Tout le monde parle des 100 jours de François Hollande en tant que nouveau Président de la République… très peu de personnes parlent des 763 jours dont la Commission de contrôle boursier américaine a eu besoin pour accoucher d’une réglementation permettant enfin d’appliquer une loi historique : une loi qui, désormais, oblige toute entreprise pétrolière, gazière ou minière de révéler ce qu’elle paie à des gouvernements.

Une telle loi est historique car elle braque les projecteurs sur une industrie qui brasse des milliards, mais qui, pour le moment, agit en toute opacité. Vouloir connaître la hauteur et les détails des paiements que ces sociétés sont prêtes à verser aux gouvernements de pays riches en ressources naturelles est donc loin d’être anodin. Le temps que l’institution américaine a pris pour décider du décret d’application – presque deux fois plus long que le délai que la loi lui imposait – donne une indication de l’enjeu.

En effet, le lobby industriel a lutté de toute sa force contre une telle loi, allant jusqu’à invoquer la menace terroriste. Plusieurs entreprises ont sérieusement soutenu l’idée que la publication des paiements liés à des projets spécifiques les rendrait plus vulnérables aux attaques terroristes. Pourtant quelques clics sur internet suffisent pour identifier l’emplacement d’un champ pétrolier.
Il n’est pas non plus inconnu que les ressources naturelles rapportent bien, mais pas toujours aux bonnes personnes. Il suffit de passer en revue les objets et l’immobilier saisis par la justice française dans le cadre de l’affaire des biens mal acquis qui vise le fils du dictateur équatoguinéen. Il disposait notamment d’une dizaine de voitures de grand luxe, à lui seul, à Paris. La manne pétrolière et minière annuelle de l’Afrique représente 7 fois les montants de l’aide publique au développement.

Ce sont moins les terroristes qui s’intéressent aux paiements effectués par Shell, Exxon et Total, mais les citoyens des pays riches en ressources. Il y a quelques jours seulement, un Libyen, ancien employé de l’entreprise nationale de pétrole, a lancé un appel à l’adresse de l’autorité boursière américain dans le New York Times. Dans sa tribune, il décrit comment des milliers de barils de pétrole ont pu disparaître d’un champ pétrolier en 2008, sans qu’aucune investigation ne soit lancée. Selon les calculs du think tank Global Financial Integrity, le pays, 10e producteur de pétrole dans le monde, a perdu plus de 43 milliards de dollars de 2000 à 2009 à cause de fuite de capitaux. Le pays compte aujourd’hui sur l’Europe et les Etats-Unis pour les aider à mettre fin à de telles pratiques de corruption.

Un autre groupe important s’intéresse également à une telle loi de transparence : les investisseurs. Beaucoup de lobbyistes industriels essaient de présenter les nouvelles régulations imposant plus de transparence comme de la paperasserie bureaucratique freinant l’activité économique. Tout au contraire, une étude de l’université de Columbia suggère qu’une comptabilité plus détaillée et transparente améliore la performance financière des entreprises extractives. Sans parler des industriels qui prennent la plume pour demander des lois de transparence strictes, à l’instar de l’ancien PDG de British Petrol.

La décision américaine devrait leur donner raison. Sans que les détails soient connus, les premières informations publiées par la Commission boursière sont encourageantes, surtout le fait qu’elle n’acceptera aucune exemption. Il n’y aura donc aucun échappatoire pour la majorité des grandes entreprises extractives opérant dans le monde, car la décision s’applique à toute entreprise cotée en bourse aux États-Unis ce qui englobe aussi maintes entreprises chinoises et européennes.

Maintenant, l’Europe est attendue au tournant : elle a emboîté le pas aux Etats-Unis et prépare une loi similaire depuis presqu’un an. Les négociations entreront dans leur phase décisive dès la rentrée.

Sur certains points, ce projet de loi va plus loin que celui des Américains, en intégrant par exemple les entreprises forestières. Le bois est une ressource naturelle très précieuse, surtout pour les Africains : Les forêts pèsent trois fois plus lourdes dans l’économie africaine que dans le reste du monde.

A d’autres égards, le projet de loi européenne a encore du chemin à faire pour égaler celui des Américains. Il prévoit notamment une exemption pour des entreprises opérant dans pays qui interdisent la publication des paiements. Ceci est clairement une victoire du lobby industriel. Il a su convaincre les technocrates de Bruxelles de l’utilité d’une telle exemption, sans donner de preuve qu’une telle loi pénale existe réellement quelque part. Mais on s’imagine bien que certains présidents-dictateurs seront ravis de promulguer de telles lois une fois la loi européenne en vigueur, pour pouvoir continuer à mettre la main sur des revenus publics sans être dérangés.

Autre succès de la part du lobby européen : La Grande-Bretagne, longtemps à la pointe des efforts pour plus de transparence, s’est laissé convaincre par une proposition de l’entreprise pétrolière Rio Tinto : les entreprises accepteraient de dévoiler leurs paiements, mais seulement de manière agrégée. Une vue d’avion, en quelque sorte, qui empêchera de distinguer les détails, tiendra les citoyens à distance et rendra la législation inefficace.

L’Allemagne semble aussi sous l’emprise du lobby. Le pays n’a quasiment pas de grandes entreprises extractives, une situation que l’industrie allemande déplore. Elle a fondé une alliance pour améliorer la position de ses entreprises sur le marché des matières premières et fait barrage contre la loi de transparence. Son argument: les nouvelles règles demandent beaucoup de travail et d’argent pour s’y conformer. Pourtant, la loi européenne devrait augmenter les coûts de comptabilité des entreprises de 0,33% seulement. De toute manière, une entreprise bien gérée devrait connaître les détails de ses paiements. Néanmoins, cet argumentaire bancal semble porter des fruits outre-Rhin.

Reste la France comme dernier grand pays de l’Union européenne ayant la capacité d’influencer les négociations. Pendant la campagne présidentielle, François Hollande a mis la barre haute en demandant une loi européenne de transparence pour toute entreprise et non seulement pour celles du secteur extractif.

Il n’est pas exagéré de dire que les yeux sont maintenant rivés sur lui et la France : d’elle dépend si l’élan lancé par les Etats-Unis est prolongé afin de jeter les bases d’un standard international. Pour cela, l’Europe doit résister aux lobbys industriels et au moins aller aussi loin que les Etats-Unis, c’est-à-dire supprimer toutes les exemptions prévues et demander des comptes détaillés projet par projet aux entreprises. Pour que François Hollande puisse présenter une victoire historique 200 jours après le début de sa présidence.

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