¤ Chypre et notre avenir
source : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/chypre-et-notre-avenir-133109
L’Argentine, dont la monnaie était à l’époque alignée sur le dollar et qui avait une politique ultralibérale, avait déjà montré ce type de situation.
Qui nous attend sans doute plus vite que l’on croit.
En tous les cas, il est important de réfléchir à la situation chypriote, ce qui est le but de cet article.
- L’attente
Le système se charge maintenant lui-même de détruire les paradis fiscaux !
Il y a maintenant quelque chose de comique et de dramatique à la fois dans ces « sauvetages » de pays qui sont les premiers à être pris dans la crise que provoque maintenant leur engagement irresponsable dans une monnaie unique, finalement très récente, trop forte pour leurs économies. L’Euro, qui est un élément clé du système néo libéral.
Il instaure une monnaie incontrôlable au niveau des états, qui favorise le libre échange, les délocalisations de capitaux, les opérations financières qui sont maintenant presque uniquement spéculatives. Il retire aux gouvernements des pays de la zone leur maitrise de la monnaie et son utilisation comme levier financier notamment. Son contrôle par un organisme chargé avant tout d’assurer la stabilité de la monnaie assure le rendement des prêts privés aux états, aux collectivités locales, aux organismes d’intérêt public, aux particuliers.
Il y a un effet comique à voir l’étonnement de soi-disant dirigeants politiques devant le fait que cela a créé une économie virtuelle qui n’a pratiquement aucune retombée dans l’économie réelle, alors que c’est l’essence même du capitalisme néo libéral de privilégier les opérations financières face aux investissements lourds pour le développement de l’économie. C’est d’ailleurs pour cette raison que le néo libéralisme rejette le nucléaire.
La dette publique s’est accrue précisément pour assurer les investissements de base : énergie, transports… et aussi pour combler des déficits que provoque ce système dominant : déficit du commerce extérieur provoqué par un Euro trop fort pour la majeure partie des économies et par le ravage des secteurs de production, déficits budgétaires que l’on comble avec des prêts à taux élevés, déficits des systèmes sociaux que la situation économique dégradée empêche de se financer normalement… Elle s’accroit maintenant pour maintenir en vie un système à bout de souffle en alimentant les marchés financiers avec des plans de Quantitative Easing qui ne suffisent même plus. Pour stimuler l’activité des marchés, en fait la spéculation généralisée sur les biens échangés, les USA veulent développer des marchés trans pacifique et trans atlantique.
En fait, tout cela n’est qu’une fuite en avant. Parce que toutes les mesures prises que ce soient les plans dits de sauvetage ou ceux de création de liquidités à l’adresse des marchés, les QE, aggravent la dette et ralentissent encore plus les économies. Ainsi les pays européens sont entrés durablement dans la récession.
Chypre était un paradis fiscal que le système vient donc de détruire. C’est-à-dire que l’économie du pays est totalement insuffisante pour permettre à l’Etat de garantir les dépôts bancaires à Chypre. Le PIB deChypre est de l’ordre de 20 milliards d’euros et le montant de l’argent qui circule dans ses banques est peut-être de 5 à 10 fois plus élevé. D’autre part, le poids d’une monnaie trop forte, ainsi que d’autres facteurs, conduisent le pays à la récession. Avec une garantie d’état quasi nulle, il est clair que les Banques sont plus exposées à la faillite. Dexia a montré comment une banque importante pouvait faire faillite. Après Enron, Lehmann Brothers. Et contrairement à ce que l’on pense couramment, pour les mêmes causes profondes, nous nous trouvons toujours dans ce cycle d’instabilités et de faillites. Dexia a d’ailleurs montré que les subprimes trainaient encore dans les actifs des banques. L’affaire Kerviel,Trader pour la Société Générale que l’on a voulu nous faire croire comme agissant sans contrôle, à l’image du précédent britannique du sud-est asiatique, a montré que l’on pouvait aussi perdre beaucoup d’argent dans des opérations spéculatives, de l’ordre de 25 milliards d’euros en l’occurrence. Quand on pense que journellement ce sont plus de 1000 milliards d’euros qui sont engagés dans des opérations financières au niveau mondial, même si le principe de l’accumulation du capital fait qu’elles se traduisent par des gains, il peut aussi y avoir des pertes.
Dans le contexte actuel il y a plusieurs cas de figure pour les problèmes financiers majeurs.
Soit l’Etat lui-même ne peut plus faire face aux échéances de ses prêts, où tout simplement ne peut plus en payer les intérêts, c’est le cas de la Grèce dont le cas a été réglé provisoirement par un défaut de paiement dissimulé et de nouveaux prêts, ou bien ce sont des Banques d’un pays qui ne peuvent assurer des remboursements alors que l’Etat est dans l’incapacité de couvrir leur déficit. C’est le cas de Chypre.
On voit que l’Etat est toujours au cœur du problème. Et donc que les peuples font les frais de ce qui est nommé à contre sens un sauvetage qui à vrai dire constitue un degré supplémentaire dans l’asservissement des peuples. C’est à ce niveau que l’on passe au drame, particulièrement pour les couches les plus défavorisées et les jeunes dont l’avenir est démoli.
La réalité de ces situations de faillites partielles est que le système a pour seul objectif de maintenir l’Euro, ainsi que sa domination par l’intermédiaire de ses institutions et organismes, la commission européenne, la BCE et le FMI, la Troïka.
En lisant le texte de l’accord on retombe sur l’aspect comique. Les mesures terribles qu’il comprend pour les chypriotes sont qualifiées d’élément clés pour « a future macroeconomic adjustment programme ». Juste un ajustement macroéconomique qui frappera de plein fouet les couches moyennes, les pauvres, les chômeurs, les jeunes… heureusement qu’ils sont soutenus par les membres de l’eurozone « The Eurogroup fully supports the Cypriot people in these difficult circumstances ».
Mais on rappelle après le vrai sens du sauvetage : « restore the viability of the financial sector », maintenir l’intégrité du système financier de l’eurozone.
La liquidation du caractère « paradis fiscal » est détaillée et les mesures classiques, – privatisations, augmentation des taxes sur les dépôts, mesures générales de taxation, les habituelles mesures dites de structures c’est-à-dire la diminution des fonctionnaires-, vont être mises en œuvre par le gouvernement chypriote. Tout cela sera contrôlé par la Troïka, ce qui équivaut à une mise sous tutelle de Chypre. Une sécurisation des succursales grecques des banques chypriotes est recherchée dans le cadre d’un accord avec la Grèce.
Si l’on affirme la garantie des dépôts bancaires inférieurs à 100.000 euros, un principe européen, le pouvoir d’achat va être dégradé par les taxes sur les revenus. Le texte reconnait que tout cela va porter un coup à l’économie de l’Ile dont on limite pudiquement l’influence à trois années.
Moyennant quoi la dette publique chypriote va être alourdie des 10 milliards d’euros venant du fonds européen de stabilité, de la zone euro et du FMI. Concrètement cela veut dire aussi que les états européens doivent aussi contribuer à ce prêt, donc grever également leur dette publique. Formellement les pays doivent donner leur accord.
Tous les détenteurs de parts, de bonds et de dépôts non sécurisés de la Banque Laiki qui va être dissoute vont être mis à contribution dans la recapitalisation de la nouvelle Banque de Chypre. La Banque Laiki va donner naissance à deux Banques. La bonne, la Banque de Chypre donc, qui va être capitalisée avec 9 milliards d’euros et dont les dépôts non sécurisés peuvent faire l’objet de mesures de taxation. La mauvaise Banque qui va recevoir tous les actifs toxiques et les dépôts suspects est appelée à disparaitre sans planning.
Autant dire que l’on admet la volatilisation d’une partie des avoirs d’avant la faillite.
On note également une tentative pour ménager les avoirs russes.
Pour Chypre que ressort-il de tout cela, en dehors du fait que le pays a été trahi par ses dirigeants au point d’ignorer un vote du parlement ?
* le pouvoir d’achat des chypriotes va être gravement atteint, finalement beaucoup plus que par une dévaluation qui suivrait une sortie de l’Euro.
* le poids de la dette et de ses intérêts va interdire de faire les investissements qui permettraient de relancer l’économie de l’Ile à partir de ses propres atouts
* Chypre va s’enfoncer dans une récession dont ce pays ne pourra pas sortir. Toutes les retombées liées au paradis fiscal vont disparaitre. L’économie va donc également être profondément modifiée.
Pour Chypre comme pour la Grèce, le maintien dans la zone Euro s’ouvre sur un avenir catastrophique qui va enfoncer ces pays dans le sous développement.
Est-ce que cela préfigure des situations semblables pour des pays de plus grande envergure ? Évidemment puisque les mêmes causes produisent les mêmes effets.
La grande et décisive différence est que pour les pays qui sont dans l’antichambre de situations identiques, les sommes de monnaie mises en jeu sont d’un tout autre ordre de grandeur. Plusieurs milliers de milliards d’euros.
Donc la zone euro est sous la menace d’une implosion. Et il est incroyable de constater combien les peuples concernés sont ignorants d’une telle catastrophe en perspective. C’est l’expression d’une partie de la domination de peuples par le système néo libéral qui n’est de toute manière plus réformable.
Devant cet horizon sombre et lugubre, la domination intellectuelle du système, entretenue par des « experts », des « philosophes » et responsables politiques de toute couleur, empêche de voir une solution évidente qui commence avec la sortie de l’Euro.
La situation économique de pays comme le Japon montre qu’avec la mondialisation la simple maitrise de la monnaie ne suffit pas. Il est évident qu’il faut des mesures de protectionnisme, combiné avec des investissements de développement interne.
Prétendre que cela peut se faire sans douleur est irréaliste. Mais l’éclatement de la zone euro provoquera des dommages beaucoup plus grands. Beaucoup d’analystes qui se penchent sur les raisons qui font de l’Iran et de la Russie des ennemis majeurs de ce que l’on appelait plaisamment le monde libre, pensent que c’est précisément leur non engagement dans ce système ultralibéral qui est à la source de cette volonté de destruction. Ces pays montrent que l’on peut survivre hors de ce système, non sans problèmes naturellement. Mais pour l’instant les paradis sont uniquement fiscaux.