¤ Ecoutes de la NSA : l’indignation française fait peur aux américains ! Bouh !
Ecoutes de la NSA : l’indignation française est-elle bien sérieuse ?
Les éléments publiés par le quotidien français démontrent avec précision le système intrusif de surveillance des communications mis en œuvre par le gouvernement américain pour espionner massivement la France. Les derniers documents attestent de la réalité de ces écoutes entre le 10 décembre 2012 et le 8 janvier 2013. Mais rien n’indique que celles-ci ont cessé, même si le directeur de la NSA conteste aujourd’hui, en partie, la quantité indiquée dans les documents publiés. Des personnes soupçonnées de terrorisme ont été l’objet de ces interceptions téléphoniques mais aussi des personnels politiques, de l’administration ou du monde des affaires.
Les révélations de Snowden depuis juin dernier jettent un éclairage crû sur les pratiques illégales de la NSA à l’encontre de la France, et à chaque nouvelle information d’espionnage, François Hollande et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault s’indignent. Mais du bout des lèvres. Sans jamais prendre de mesures particulières, comme s’il était très gênant pour le gouvernement français de réagir trop fermement contre le gouvernement américain à ce sujet. La France a-t-elle quelque chose à cacher que les Etats-Unis pourraient révéler sur les écoutes numériques ? La surveillance de la NSA n’est-elle qu’un échange de bons procédés entre pays alliés ?
Fleuron français de la surveillance numérique
C’est en février 2011 que le scandale de la vente d’armes numériques par des entreprises françaises est révélé par un site français d’information en ligne, Reflets.info. Animé par des journalistes et des hackers, le site satirique d’investigation dévoile les pratiques d’une entreprise spécialisée dans la surveillance numérique, Qosmos, puis celles d’Amesys, filiale de la célèbre entreprise d’informatique Bull. Cette filiale, Amesys, aidée de la DGSE, a vendu en 2007 au dictateur libyen Khadafi, du matériel capable d’écouter la totalité de sa population. La technologie dite « d’inspection profonde de paquets » (DPI en anglais, Deep Pack Inspection) est alors détaillée par le site Reflets qui s’interroge sur la légalité de ventes de matériels capables d’espionner 6 millions de personnes au sein d’un Etat où la torture, l’élimination des opposants au régime, sont bien connues.
Le gouvernement de François Fillon, à l’époque se voit poser une question à ce sujet par un parlementaire socialiste, Christian Paul, et n’y répondra pas. Une plainte de la Fédération internationale des droits de l’homme est déposée en octobre 2011 contre Amesys , après que des journalistes du Wall Street journal découvrent les documentations de l’entreprise française dans les locaux de surveillance du régime libyen.
Antoine Champagne, directeur de publication de Reflets.info ne pense pas que le gouvernement français soit véritablement surpris par la surveillance de la NSA à chaque nouvelle publication du Monde : « Les premières révélations de Snowden indiquaient que toutes les communications passant par les câbles transatlantiques étaient écoutés par la NSA, ou en tout cas une grande partie. Donc bien entendu on pouvait imaginer qu’ils ciblaient des personnes en particulier ou des entreprises dans tous les pays du monde. La suite a prouvé que c’était le cas, et la France n’avait pas de raison d’être épargnée. La technologie du DPI est une invention française, issue des universités françaises et on doit bien se douter ici que des entreprises américaines l’utilisent, les marques qui produisent ce type de matériel sont connues, comme HP, par exemple. » François-Bernard Huyghe, directeur de recherche en stratégie de l’information, cyberstratégie, intelligence économique à l’Université Paris IV-Sorbonne et à Polytechnique, enfonce le clou sur cette indignation simulée : « Les réactions de François Hollande et de ses ministres sont comiques, nous savions tous depuis les années 90, avec le programme Echelon que nous étions écoutés par les Etats-Unis. Alors, quand Hollande dit, à propos des écoutes de décembre dernier, que « si c’était vrai, ce serait inacceptable », on peut quand même sourire… » (voir l’analyse de Slimane Zeghidour en encadré sur le réseau Echelon, NDLR)
La France surveille et…se laisse surveiller ?
Début juillet 2013, Le Monde publiait un article détonant sur l’espionnage en France et à l’étranger par la Direction générale de la sécurité extérieure, (DGSE) intitulé « Révélations sur le Big Brother français« . La réaction du gouvernement français face à ces révélations a été à la hauteur des mesures de rétorsions envers la NSA : inexistante.
Il semble pourtant probable que le gouvernement français surveille et espionne sa propre population, et que, comme la NSA, il écoute aussi à l’étranger. Malgré des incertitudes dans les explications données par Le Monde sur le système d’écoute mis en place par la DGSE, cette surveillance des services gouvernementaux français existe obligatoirementcomme l’indique avec ironie Antoine Champagne : « La France est en pointe sur ces technologies et les vend à l’étranger, elle serait bien stupide de ne pas l’utiliser pour ses propres services de sécurité. ». Même si « les moyens engagés par la France sont sans commune mesure avec ceux des Etats-Unis« , comme le rappelle François-Bernard Huyghe.
Mais pourquoi la France se laisse-t-elle espionner de façon massive par les Etats-Unis ? La théorie du directeur de publication de Reflets est simple : « La France n’a absolument aucune possibilité d’empêcher cet espionnage, parce que les technologies sont en place. Comment arrêter une technologie implémentée ? Si Internet, à ses débuts était une sorte de Far-west où l’on pouvait échapper facilement aux surveillances des Etats, parce que rien n’était encore en place, ce n’est plus du tout le cas. Aujourd’hui, on ne peut plus se cacher vu le volume des écoutes qui a été mis en place. Mais le Far-west se situe du côté des agences gouvernementales qui font absolument ce qu’elles veulent : personne ne vient voir ce que font les services de police, de renseignement, et ils ont de plus en plus les mains libres. »
Alcatel-Lucent, une entreprise bien placée ?
Alcatel, entreprise française leader dans les matériels réseaux et de télécommunication est devenue Alcatel-Lucent en 2006. Elle est désormais une entreprise franco-américaine et ses matériels sont utilisés aux Etats-Unis pour la surveillance des cœurs de réseau. Comme le souligne Reflets.info, reprenant un article duMonde, la filiale d’Alcatel-Lucent spécialisée dans les câbles intercontinentaux, ASN, est devenue stratégique pour le gouvernement français, ce qu’a bien mis en avant Fleur Pellerin dans cette déclaration qui ne prête pas à confusion, puisque l’activité de cybersurveillance y est évoquée :
« Le savoir-faire d’Alcatel Submarine Networks (ASN) est en effet unique ; il couvre la production, l’installation et la maintenance des câbles sous-marins. C’est une activité stratégique pour connecter l’Outre-Mer et tout le continent africain en haut débit. Il y a aussi un enjeu lié à la cybersurveillance et la sécurité du territoire. Nous sommes favorables à une solution qui maintienne l’intégrité d’ASN et son ancrage national. Je rappelle que d’éventuelles prises de participation seraient de toute façon soumises à une revue du Trésor au titre du décret sur l’investissement étranger en France. »
Les soupçons sur la participation d’Alcatel-Lucent, la maison-mère, aux écoutes de la NSA sont réels, et le directeur de la publication de Reflets d’abonder dans ce sens : « Alcatel-Lucent est forcément impliquée dans la surveillance de la NSA puisqu’ils sont soumis au Patriot-Act (loi américaine anti-terroriste de 2001 autorisant une surveillance accrue par les agences gouvernementales, NDLR), ils ont donc largement participé à tout ça. Les sondes qui interceptent les communications sont dans les cables et dans les routeurs de service, et ces matériels sont la spécialité d’Alcatel-Lucent…«
Hypothèses sur la prudence française
La « mollesse » française à l’égard des exactions de la NSA se comprend un peu mieux une fois tous les éléments de sa propre stratégie supposée d’espionnage exposés. François Bernard Huygues estime que parmi les hypothèses à retenir, celle où les Etats-Unis « ‘tiendraient la France par la barbichette’, avec des preuves démontrant un ‘Frenchelon‘« , est valable : « Nous ne savons pas vraiment pourquoi Hollande ne réagit pas plus que ça. Certains pensent que c’est psychologique, qu’il est un peu mou et « amoureux » d’Obama, mais on peut aussi penser que si la France s’énervait trop fortement pour ensuite être prise la main dans le pot de confiture avec des révélations sur ses propres systèmes de surveillances illégaux, ce serait très ennuyeux…«