¤ Dette publique, débat confisqué Pourquoi la France emprunte-t-elle sur les marchés ? par Benjamin Lemoine, le 12 février 2013
Source : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php?2012/12/28/293-loi-de-1973-les-aveux-de-rocard-et-deux-nouvelles-pistes-pour-comprendre-l-effet-veritable-de-la-loi
Dette publique, débat confisqué
Pourquoi la France emprunte-t-elle sur les marchés ?
par Benjamin Lemoine,
le 12 février 2013
http://www.laviedesidees.fr/Dette-publique-debat-confisque.html
Il faut rassurer les investisseurs et les agences de notation, ne cesse-t-on d’entendre depuis le début de la crise. Pour le sociologue Benjamin Lemoine, ces recommandations sont tributaires d’une conceptualisation purement budgétaire du problème de la dette. Le recours aux marchés financiers n’était en fait qu’une option parmi d’autres qui s’est imposée dans les années 1980-1990.
Les techniques de financement des États européens sont rarement mises en cause au cours des débats portant sur le problème de la dette publique. Au mieux, lorsque le financement de l’État est invoqué, c’est pour s’enorgueillir qu’en dépit des dégradations de la note souveraine infligées par les agences (Standard and Poor’s en janvier et Moody’s en novembre 2012), la France continue de bénéficier d’une signature financière de prestige et des taux d’emprunt parmi les plus faibles consentis par le marché, comparativement à la crise qui touche le reste de la zone euro. À la méconnaissance du grand public pour ces opérations répond leur grande normalité voire leur « naturalité » dans les secteurs financiers privés et publics.
Cette « évidence » s’adosse à un récit particulier des voies de financement légitimes de l’État, produit par les vainqueurs de l’histoire, qui tend à effacer les traces d’instruments qui ont pu exister par le passé, notamment pendant les décennies postérieures à la Seconde Guerre mondiale.
Après 1945, pendant la phase de reconstruction de l’économie française, un système très particulier de financement de l’État,« le circuit du Trésor », permettait au Trésor d’éviter le recours au marché dans le financement de la dépense publique.
Le démantèlement, à partir des années 1960, de ces mécanismes administrés d’alimentation de la trésorerie et le retour à des instruments de marché qui avaient cours au XIXe siècle, ont transformé durablement les relations entre l’État, l’économie et les marchés et ont installé une problématisation budgétaire des finances publiques [1].
Les déficits publics sont devenus la cause exclusive de l’emballement de la dette, et le spectre des solutions envisagées par les gouvernants, tant au niveau national qu’européen, s’est réduit autour de la diminution du déficit structurel et de la stricte surveillance des volumes des dépenses publiques.
L’oublié de l’histoire : le « circuit du Trésor »
Le recours à l’emprunt ou, plus précisément, à l’argent extérieur aux circuits de dépôts monétaires contrôlés par l’administration française des Finances, n’est qu’une option parmi d’autres au sortir du second conflit mondial. Les marchés financiers internationaux et la compétition entre États pour s’y financer sont alors inexistants. La notion même « d’endettement » de l’État ne s’est ré-explicitée en France qu’avec la réémergence, à partir des années 1970, des marchés obligataires.
Si la dette est faible en volume à l’époque, ce n’est pas exclusivement à cause des faibles déficits mais c’est aussi parce que le Trésor dispose d’une palette d’instruments variés qui rendent marginal l’appel à l’emprunt, au demeurant techniquement peu développé. Les dispositifs de trésorerie de la reconstruction sont tournés avant toute chose vers la garantie d’un financement sécurisé et régulier des dépenses publiques considérées comme nécessaires à l’expansion économique et à l’objectif de « plein emploi ». (more…)