¤ Dix milliards d’amende de la BNP : la juridiction universelle et le marché de l’obéissance mondiale
Source : http://www.huffingtonpost.fr/daniel-soulez-lariviere/amende-bnp-10-milliards-juridiction-universelle_b_5430065.html
La juridiction universelle et les dix milliards de la BNP
L’émotion suscitée par la perspective de voir la BNP tenue de payer une amende de dix milliards de dollars au trésor public américain pour avoir enfreint des lois strictement américaines sur des embargos à l’égard de Cuba, du Soudan et de l’Iran, est justifiée.
Cette émotion traverse d’ailleurs beaucoup de courants politiques, y compris le Front national. Mais l’émotion ne doit pas cacher la raison, pas plus que l’arbre ne doit cacher la forêt. L’arbre c’est le sort qui s’abat sur la BNP, comme d’ailleurs dans la suite probablement sur d’autres banques françaises.
La forêt est une réalité difficile à constater et même concevoir pour des esprits français. A savoir le fait que les Etats-Unis d’Amérique se constituent en juge universel de toutes les infractions économiques mondiales: dès lors qu’un dollar est bougé dans une transaction, le juge américain, d’après les lois américaines, peut se saisir de ce qu’il considère comme une infraction. Comme au plan international il n’existe pratiquement pas d’opérations économiques qui échappent à l’utilisation du dollar, et particulièrement en matière bancaire, la justice américaine devient une juridiction économique universelle.
La juridiction universelle est surtout connue en matière de droits de l’Homme. Elle est d’ailleurs le plus souvent paradoxalement refusée par les Etats-Unis qui voient dans les traités internationaux qui les consacrent une atteinte à leur souveraineté. C’est pourquoi ils n’ont jamais ratifié le traité de Rome créant la Cour pénale internationale en 1998, alors que Bill Clinton l’avait signé in extremis. Quant à la convention sur la torture de 1988, le Sénat lors de sa ratification d’octobre 1994, a mis des conditions et restrictions à son application.
Mais en matière économique, une seule puissance, celle des Etats-Unis, peut sans aucun traité donc sans aucune réciprocité ni articulation avec les juridictions nationales, traduire devant sa justice presque n’importe quel agent économique dans le monde, compte tenu des critères de rattachements très extensifs de la compétence judiciaire américaine.
Encore convient-il de préciser que ce n’est pas le juge américain qui décide dans le cas dont il est question, mais le parquet, le DOJ (Department of justice), c’est-à-dire l’accusation. Depuis dix ans, plusieurs sociétés européennes et françaises se sont vues poursuivies par le département de la justice pour des faits considérés comme en infraction avec la loi américaine, que la loi française soit applicable ou non. Et, plus étonnant encore, il en va de même si les juridictions françaises sont compétentes concurremment. (more…)