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2 juin 2014

¤ Dix milliards d’amende de la BNP : la juridiction universelle et le marché de l’obéissance mondiale

Classé dans : Etrange,Outils/Bon à savoir,Politique/Societe — uriniglirimirnaglu @ 14 : 13

Source : http://www.huffingtonpost.fr/daniel-soulez-lariviere/amende-bnp-10-milliards-juridiction-universelle_b_5430065.html

La juridiction universelle et les dix milliards de la BNP

Publication: 02/06/2014 12h39

L’émotion suscitée par la perspective de voir la BNP tenue de payer une amende de dix milliards de dollars au trésor public américain pour avoir enfreint des lois strictement américaines sur des embargos à l’égard de Cuba, du Soudan et de l’Iran, est justifiée.

Cette émotion traverse d’ailleurs beaucoup de courants politiques, y compris le Front national. Mais l’émotion ne doit pas cacher la raison, pas plus que l’arbre ne doit cacher la forêt. L’arbre c’est le sort qui s’abat sur la BNP, comme d’ailleurs dans la suite probablement sur d’autres banques françaises.

La forêt est une réalité difficile à constater et même concevoir pour des esprits français. A savoir le fait que les Etats-Unis d’Amérique se constituent en juge universel de toutes les infractions économiques mondiales: dès lors qu’un dollar est bougé dans une transaction, le juge américain, d’après les lois américaines, peut se saisir de ce qu’il considère comme une infraction. Comme au plan international il n’existe pratiquement pas d’opérations économiques qui échappent à l’utilisation du dollar, et particulièrement en matière bancaire, la justice américaine devient une juridiction économique universelle.

La juridiction universelle est surtout connue en matière de droits de l’Homme. Elle est d’ailleurs le plus souvent paradoxalement refusée par les Etats-Unis qui voient dans les traités internationaux qui les consacrent une atteinte à leur souveraineté. C’est pourquoi ils n’ont jamais ratifié le traité de Rome créant la Cour pénale internationale en 1998, alors que Bill Clinton l’avait signé in extremis. Quant à la convention sur la torture de 1988, le Sénat lors de sa ratification d’octobre 1994, a mis des conditions et restrictions à son application.

Mais en matière économique, une seule puissance, celle des Etats-Unis, peut sans aucun traité donc sans aucune réciprocité ni articulation avec les juridictions nationales, traduire devant sa justice presque n’importe quel agent économique dans le monde, compte tenu des critères de rattachements très extensifs de la compétence judiciaire américaine.

Encore convient-il de préciser que ce n’est pas le juge américain qui décide dans le cas dont il est question, mais le parquet, le DOJ (Department of justice), c’est-à-dire l’accusation. Depuis dix ans, plusieurs sociétés européennes et françaises se sont vues poursuivies par le département de la justice pour des faits considérés comme en infraction avec la loi américaine, que la loi française soit applicable ou non. Et, plus étonnant encore, il en va de même si les juridictions françaises sont compétentes concurremment.

Toutes ces sociétés s’en sont sorties en payant de fortes amendes qui croissent chaque année à chaque nouvelle affaire. Comme le procès américain est très coûteux, très estropiant voire mortel, les sociétés européennes préfèrent en effet transiger avec le parquet américain plutôt que de courir des risques énormes et parfois injustifiés. La célèbre société d’audit Arthur and Andersen en est morte
prématurément avant même que la Cour suprême américaine annule ce procès. Mais le mal était fait.

Devant cette perspective désastreuse et létale, les sociétés française et européennes acceptent des deals de justice (1), c’est-à-dire de conclure des accords et s’acquitter d’amendes de plus en plus importantes. Et ce avec ou sans reconnaissance de responsabilité ou avec des poursuites suspendues pendant la durée nécessaire à la démonstration du caractère durable de leur amendement, ce qui permettra que ces poursuites soient éteintes. C’est une justice transactionnelle sans juges, ce qui est inconnu chez nous. Mais très efficace.

Que peut répondre une banque qui ne veut pas coopérer ni transiger avec le parquet américain alors que celui-ci la menace, si elle refuse, de suspendre sa licence d’exercice aux Etats-Unis? C’est là le vrai problème de raison, et non pas d’émotion, qui se pose avec l’affaire de la BNP et celles des autres banques françaises qui vont suivre.

La justice américaine, c’est-à-dire le parquet américain, est devenu le maître du monde judiciaire économique et un centre, non pas de dépenses, mais de profit. En effet, les investigations ne sont pas faites par lui mais par les sociétés elles-mêmes qui payent leurs propres avocats pour faire une enquête contre elles-mêmes, comme si elles payaient un juge d’instruction maison pour découvrir leurs propres erreurs. L’affaire de la BNP qui a des conséquences économiques lourdes, ne suscite aucune passion anti-américaine chez ceux qui réfléchissent. Elle renvoie simplement à cette idée que la gouvernance mondiale judiciaire, faute de concert et d’accord international, est et restera américaine jusqu’à nouvel ordre.

__________________
(1) Cf. Deals de Justice, le marché américain de l’obéissance mondialisée, sous la
direction d’Antoine Garapon et Pierre Servan-Schreiber, PUF, 2013.

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