¤ De l’affaire Adlène Hicheur à la Gen Z en passant par Gaza : anatomie d’une bascule sécuritaire et de ses contre‑chocs
Un physicien devenu symbole
En octobre 2009, le physicien des particules Adlène Hicheur, chercheur au CERN, est arrêté en France. L’accusation : association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Les preuves ? Une série de 35 courriels échangés avec un interlocuteur présenté comme membre d’AQMI. Dans ces messages, il évoque la possibilité de cibler une base militaire en Haute‑Savoie ou des entreprises stratégiques[^1].
En 2012, il est condamné à cinq ans de prison dont un avec sursis. Aucun passage à l’acte, aucune arme, aucun réseau : uniquement des écrits. Pour ses soutiens, il devient le prototype du « terroriste virtuel », jugé non pour ce qu’il a fait, mais pour ce qu’il aurait pu faire[^2].
Après sa libération, il part enseigner au Brésil, avant d’être expulsé en 2016. Assigné à résidence en France, il choisit une voie radicale : renoncer à sa nationalité française pour redevenir uniquement algérien et pouvoir quitter le territoire[^3]. Il s’installe ensuite à Genève, où il reprend une activité scientifique discrète.
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La première bascule : l’après‑2015
L’affaire Hicheur aurait pu rester un cas isolé. Mais les attentats de 2015 en France (Charlie Hebdo, Bataclan) changent la donne. Dans ce climat d’état d’urgence, son dossier est relu à travers le prisme du risque zéro.
- Avant 2015, certains voyaient en lui une victime d’une justice d’anticipation.
– Après 2015, il devient pour beaucoup un danger permanent, justifiant surveillance et restriction.
C’est la première bascule : la logique sécuritaire s’impose sur la logique judiciaire. On ne juge plus seulement des actes, mais des intentions[^4].
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La deuxième bascule : Gaza, 7 octobre 2023
Le 7 octobre 2023, l’attaque du Hamas contre Israël ouvre une nouvelle ère. La riposte israélienne transforme Gaza en laboratoire d’un sécuritarisme total : une population entière traitée comme suspecte, punie collectivement pour ce qu’une partie d’entre elle représente.
On retrouve ici une « Adlène‑Hicheurisation » à l’échelle d’un peuple :
– assignation collective,
– suspicion permanente,
– punition préventive.
Mais l’effet pervers est le même : la radicalisation que l’on prétend prévenir est en réalité alimentée par ce traitement[^5].
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Le risque de contre‑bascule

Un drapeau OnePiece est accroché par un manifestant aux grilles du palais Singha Durbar en flammes à Katmandou, au Népal, le 9 septembre 2025 (Sunil Pradhan/Anadolu/Getty Images)
Chaque bascule sécuritaire engendre tôt ou tard un retour de flamme. Dans le cas de Gaza, le danger est celui d’une radicalisation élargie : non seulement des Palestiniens, mais aussi d’autres peuples qui s’identifient à leur sort. Israël, et par ricochet les États qui le soutiennent sans nuance, risquent de devenir la cible d’une hostilité diffuse et durable.
C’est la contre‑Adlène‑Hicheurisation : quand le traitement sécuritaire appliqué à un individu ou à un peuple finit par nourrir une radicalisation transnationale.
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La Gen Z révolte : un nouvel acteur global
Ce mouvement de contre‑bascule trouve un relais inattendu : la Génération Z. De Katmandou à Antananarivo, de Casablanca à Jakarta, des jeunes se soulèvent contre la corruption, la précarité, l’injustice.
- Népal (2025) : chute du Premier ministre après des émeutes étudiantes coordonnées sur Discord[^6].
– Sri Lanka (2022) : occupation du palais présidentiel, matrice symbolique des révoltes suivantes[^7].
– Bangladesh, Indonésie, Philippines, Madagascar, Maroc, Pérou : mêmes ingrédients : horizontalité, symboles pop (le drapeau One Piece), slogans transnationaux.
Ces mouvements se reconnaissent dans Gaza : une jeunesse assignée à la précarité et à la suspicion, réprimée quand elle se soulève. Gaza devient leur Vietnam générationnel, un miroir universel de l’oppression.
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Vers une recomposition mondiale
Nous assistons à une séquence en trois temps :
1. 2012–2016 : l’affaire Hicheur, prototype de la justice d’anticipation.
2. 2015–2023 : bascule sécuritaire globale, où la suspicion devient norme.
3. Depuis 2023 : émergence d’une contre‑bascule portée par la Gen Z, qui relie Gaza à ses propres luttes.
Le risque – ou l’opportunité – est celui d’une reconfiguration idéologique mondiale. Ce qui était présenté comme « lutte contre le terrorisme » pourrait être relu comme « oppression systémique ». Et la jeunesse connectée, en Asie, en Afrique, en Amérique latine, pourrait en être le moteur.
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Conclusion
De l’assignation à résidence d’un physicien à la mise sous blocus d’un peuple, une même logique se déploie : celle de la suspicion préventive. Mais cette logique porte en elle son antidote : la radicalisation en retour, la solidarité transnationale, la révolte générationnelle.
L’affaire Adlène Hicheur n’était peut‑être pas une anomalie. Elle était un prélude. Gaza en est l’amplification. La Gen Z pourrait en être la revanche.
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Notes et références
[^1]: L’Humanité, « Adlène Hicheur, le terroriste “virtuel”, restera encore en prison », 4 mai 2012.
[^2]: Lundi Matin, « Qui veut la peau d’Adlène Hicheur ? ou la vengeance sans fin de l’antiterrorisme », 29 août 2016.
[^3]: ScienceNet.cn, « LHC为被驱逐物理学家筹办研讨会 » (LHC pour un physicien expulsé), 18 décembre 2016.
[^4]: Wikipédia, « Adlène Hicheur », consulté en octobre 2025.
[^5]: Amnesty International, Rapports 2023–2024 sur Gaza.
[^6]: Le Monde, « Au Népal, la jeunesse renverse le gouvernement », septembre 2025.
[^7]: BBC News, « Sri Lanka crisis: Protesters storm presidential palace », juillet 2022.
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Bibliographie commentée
Sur l’affaire Adlène Hicheur
- Wikipédia, “Adlène Hicheur” : https://fr.wikipedia.org/wiki/Adl%C3%A8ne_Hicheur
➝ Source synthétique et mise à jour régulièrement. Donne les grandes lignes de sa carrière, de son arrestation et de sa condamnation. Utile comme point d’entrée, mais à compléter par des sources journalistiques.
- L’Humanité, “Adlène Hicheur, le terroriste ‘virtuel’, restera encore en prison” (2012)
➝ Article qui insiste sur le caractère « virtuel » des accusations. Ton critique vis‑à‑vis de la justice antiterroriste, soulignant l’absence de preuves matérielles.
- Europe 1, “Le physicien du Cern condamné” (2012)
➝ Ton plus institutionnel. Reprend les arguments du parquet et les extraits de mails incriminés. Montre bien la lecture « à charge » de l’affaire.
- ScienceNet.cn, “LHC pour un physicien expulsé” (2016)
➝ Article chinois relatant le colloque organisé par ses collègues du CERN pendant son assignation à résidence. Témoigne de la solidarité scientifique internationale.
- Lundi Matin, “Qui veut la peau d’Adlène Hicheur ?” (2016)
➝ Média militant. Dénonce une « vengeance sans fin de l’antiterrorisme ». Position très critique, utile pour comprendre la perception alternative de l’affaire.
- France Inter, podcast “Comme un bruit qui court” (2016)
➝ Émission radio qui raconte son assignation à résidence et son renoncement à la nationalité française. Permet d’entendre la voix de ses proches et de ses soutiens.
- France Culture, podcast “Les Pieds sur Terre – L’affaire Adlène Hicheur” (2021)
➝ Témoignages et récit de son parcours. Met en avant l’idée d’un « djihadiste virtuel » et interroge la justice d’anticipation.
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Sur le contexte sécuritaire post‑2015
- Rapports de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme, France)
➝ Analyses annuelles sur l’état d’urgence et les lois antiterroristes. Montre la bascule vers une logique de précaution absolue.
- Didier Bigo, “La peur et la sécurité” (2008, réédité après 2015)
➝ Ouvrage académique sur la construction politique de la peur et la logique sécuritaire. Indispensable pour comprendre le cadre théorique.
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Sur Gaza et la bascule post‑2023
- Rapports Amnesty International et Human Rights Watch (2023–2024)
➝ Documentent les bombardements, déplacements forcés et violations du droit international humanitaire. Sources solides, mais perçues comme critiques d’Israël.
- Le Monde, “Guerre Israël‑Hamas : chronologie des événements depuis le 7 octobre 2023”
➝ Source de référence pour la chronologie factuelle.
- Al Jazeera, “Gaza under siege” (2023–2024)
➝ Couverture continue, avec un angle très critique vis‑à‑vis d’Israël.
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Sur la Gen Z révolte
- BBC News, “Sri Lanka crisis: Protesters storm presidential palace” (2022)
➝ Reportage sur la chute du gouvernement sri‑lankais. Montre la puissance des mobilisations populaires.
- Le Monde, “Au Népal, la jeunesse renverse le gouvernement” (2025)
➝ Article sur la révolte étudiante et la chute du Premier ministre. Met en avant l’usage de Discord et des votes en ligne.
- Articles de presse régionale (Madagascar, Maroc, Pérou, Philippines)
➝ Témoignent de la diffusion transnationale des tactiques et symboles (drapeau One Piece, hashtags).
- Études académiques en cours (Sciences Po, LSE, universités asiatiques)
➝ Analysent la Gen Z comme acteur politique global, horizontal et connecté.
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From the Adlène Hicheur Affair to Gaza: Anatomy of a Security Shift and Its Counter‑Shocks
A physicist turned symbol
In October 2009, particle physicist Adlène Hicheur, then working at CERN, was arrested in France. The charge: criminal association in relation to a terrorist enterprise. The evidence? A series of 35 emails exchanged with a man later presented as a member of AQIM (Al‑Qaeda in the Islamic Maghreb). In these messages, Hicheur mentioned possible targets such as a military base in Haute‑Savoie or strategic companies[^1].
In 2012, he was sentenced to five years in prison, one suspended. No attack, no weapons, no operational network—only words. For his supporters, he became the prototype of the “virtual terrorist”, convicted not for what he did, but for what he might have done[^2].
After his release, he taught in Brazil, before being expelled in 2016. Back in France, he was placed under house arrest. To escape this limbo, he made a radical choice: renouncing his French nationality to remain only Algerian, which allowed him to leave the country[^3]. He later settled in Geneva, where he resumed a discreet scientific career.
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The first shift: post‑2015 France
The Hicheur case could have remained an isolated episode. But the 2015 terrorist attacks in France (Charlie Hebdo, Bataclan) changed everything. In this climate of emergency, his file was reread through the lens of zero risk.
- Before 2015, some saw him as a victim of anticipatory justice.
– After 2015, he was perceived as a permanent threat, justifying surveillance and restrictions.
This was the first shift: security logic overtook judicial logic. The focus moved from acts to intentions[^4].
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The second shift: Gaza, October 7, 2023
On October 7, 2023, Hamas’s attack on Israel opened a new era. Israel’s response turned Gaza into a laboratory of total securitization: an entire population treated as suspect, collectively punished for what part of it represents.
This is a “Hicheurization” at the scale of a people:
– collective assignment,
– permanent suspicion,
– preventive punishment.
And the same perverse effect emerges: the radicalization that is supposed to be prevented is in fact fueled by this treatment[^5].
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The risk of counter‑shift
Every security shift eventually generates a backlash. In Gaza’s case, the danger is a wider radicalization: not only Palestinians, but other peoples identifying with their plight. Israel, and by extension the states that support it unconditionally, risk becoming the target of diffuse and lasting hostility.
This is the counter‑Hicheurization: when the security treatment applied to an individual or a people ends up producing transnational radicalization.
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The Gen Z revolts: a new global actor
This counter‑shift finds an unexpected relay: Generation Z. From Kathmandu to Antananarivo, from Casablanca to Jakarta, young people are rising against corruption, precarity, and injustice.
- Nepal (2025): fall of the Prime Minister after student riots coordinated on Discord[^6].
– Sri Lanka (2022): occupation of the presidential palace, a symbolic matrix for later uprisings[^7].
– Bangladesh, Indonesia, Philippines, Madagascar, Morocco, Peru: same ingredients—horizontal organization, pop‑culture symbols (the One Piece flag), transnational slogans.
These movements recognize themselves in Gaza: a generation assigned to precarity and suspicion, repressed when it revolts. Gaza becomes their Vietnam, a universal mirror of oppression.
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Towards a global recomposition
We are witnessing a three‑stage sequence:
1. 2012–2016: the Hicheur affair, prototype of anticipatory justice.
2. 2015–2023: global security shift, where suspicion becomes the norm.
3. Since 2023: emergence of a counter‑shift carried by Gen Z, linking Gaza to their own struggles.
The risk—or opportunity—is a global ideological recomposition. What was once framed as a “war on terror” could be reframed as “systemic oppression.” And the connected youth of Asia, Africa, and Latin America could be its driving force.
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Conclusion
From the house arrest of a physicist to the blockade of a people, the same logic unfolds: that of preventive suspicion. But this logic carries its own antidote: backlash radicalization, transnational solidarity, generational revolt.
The Adlène Hicheur affair may not have been an anomaly. It was a prelude. Gaza is its amplification. Gen Z could be its revenge.
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Notes and references
[^1]: L’Humanité, “Adlène Hicheur, the ‘virtual’ terrorist, will remain in prison,” May 4, 2012.
[^2]: Lundi Matin, “Who wants Adlène Hicheur’s head? or the endless revenge of counter‑terrorism,” August 29, 2016.
[^3]: ScienceNet.cn, “LHC organizes a farewell colloquium for expelled physicist,” December 18, 2016.
[^4]: Wikipedia, “Adlène Hicheur,” accessed October 2025.
[^5]: Amnesty International, Reports on Gaza 2023–2024.
[^6]: Le Monde, “In Nepal, youth topples the government,” September 2025.
[^7]: BBC News, “Sri Lanka crisis: Protesters storm presidential palace,” July 2022.
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